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François Ier. Le palais des Bohier servait à peine de rendez-vous de chasse. C’est là du reste un trait curieux de la destinée de ce château : les hommes furent toujours pour lui de mauvais maîtres ; par eux, il fut toujours dédaigné, maltraité, dépouillé même. Les femmes seules surent l’aimer, l’animer, l’embellir. C’est en effet un caprice de femme qui, à la mort du roi, allait rendre à Chenonceau le mouvement et l’éclat.

Henri II ou plutôt Mme de Valentinois venait de monter sur le trône. Tout le monde sait maintenant ce qu’était cette étrange femme. Son inaltérable jeunesse, ce printemps sans automne a longtemps coloré sa mémoire de poétiques reflets. Au milieu d’une cour à demi païenne, la belle Diane semblait une divinité ; ses flatteurs et ses chantres à gages lui composaient une auréole ; mais l’histoire a fait évanouir ce nimbe protecteur. Dans ce corps admirable, jeune à soixante ans, beau jusqu’à la mort, elle nous montre une âme froide et sèche. Elle met à nu la vraie duchesse de Valentinois, avare, cupide, sans passions et sans cœur, faisant argent de tout, sacrifiant à sa rapacité et le roi et la France. Chez cette femme, tout fut calcul, tout jusqu’à la noblesse de ses goûts. Aurait-elle paru toujours jeune si son âme n’eût été impassible, si elle avait vraiment aimé même les arts et la poésie ?

Ce fut donc une fantaisie de cette femme qui sauva Chenonceau de l’abandon et de l’oubli. Elle le désira et en fut aussitôt maîtresse. François mourait au mois de mars : dès le mois de juin, Diane était mise en possession de Chenonceau, « en considération des grands et très recommandables services de feu Loys de Brézé, son époux, mort depuis seize années. » Qu’on accuse après cela les princes d’ingratitude ! Et ce n’est, pas tout : l’acte de donation avait grand soin d’affirmer, car c’était le point essentiel, que la châtellenie et dépendances de Chenonceau n’avaient jamais été, ni par le feu roi ni par le roi régnant, incorporées au domaine de la couronne.

Eussent-elles fait partie du domaine, le roi n’en aurait pas moins disposé comme bon lui semblait. La limite était alors extrêmement vague entre les biens aliénables et ceux qui ne l’étaient pas. L’édit de François Ier n’avait rien éclairci, et l’ordonnance de Moulins, qui proclama définitivement l’inaliénabilité des biens du grand domaine, ne fut rendue qu’en 1566 par Charles IX, docile cette fois-là, par exception, aux inspirations d’un honnête homme, le chancelier de l’Hospital. Tant de prudence, tant de réserves auraient donc pu, sous Henri II, passer pour superflues ; on y ajouta pourtant l’entérinement des lettres patentes à la chambre des comptes, l’attache au bureau des finances de Tours, l’enregistrement au bailliage d’Amboise, enfin tout ce que la procédure du temps pouvait