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résidences ? Androuet du Cerceau nous a conservé les plans tracés par Philibert Delorme sous l’inspiration de la reine-mère. Pour s’embarquer dans de telles entreprises, il fallait plus que l’amour de Chenonceau, il fallait cette manie de bâtir qui toujours posséda Catherine. A Paris, à Monceaux, à Saint-Maur, partout comme à Chenonceau, elle faisait construire. Faut-il croire, comme le veut de Thou, que par une superstition bizarre il lui semblait que « le jour qui verrait ses bâtimens terminés serait le dernier de sa vie. » Quel que fût son motif, elle eut beau laisser inachevés les travaux de Chenonceau, elle ne put conjurer la mort.

On sait comment elle sortit de ce monde à Blois le 6 janvier 1589, après une agonie misérable, abandonnée de tous, n’ayant à son chevet qu’un pauvre vieux prêtre pour recevoir son dernier soupir. « Adorée et révérée de son vivant comme la Junon de la cour, dit l’Étoile, elle n’eut pas plus tôt rendu l’âme qu’on n’en fit non plus de compte que d’une chèvre morte. » Dans cet abandon lugubre, dans cette fin, il faut voir plus que le mépris des cours pour les astres qui déclinent ; il faut voir le désordre, le désarroi des choses et des hommes à ce moment de notre histoire. Après tant d’efforts habiles, souvent heureux, pour soutenir la royauté contre ses ennemis conjurés, Catherine la laissait dans un bien triste état. il faut traverser deux cents années, il faut venir jusqu’en 1789, pour trouver le pouvoir royal en butte à de tels dangers : partout dans le royaume la guerre civile, partout la révolution, le mot paraît moderne, mais comment appeler autrement la déposition du roi par le peuple de Paris ? Le mouvement sans doute n’est pas encore démocratique ; les temps ne sont pas venus, les esprits, ne sont pas mûrs. Il reste à naître bien des idées, et aussi bien des mots ; mais derrière toutes les ambitions lorraines ou espagnoles, derrière toutes ces passions princières, on sent une sorte d’éruption populaire qui n’a pas conscience d’elle-même, et qui n’en est pas moins comme le premier frémissement du volcan. Voilà le royaume que laissait Catherine ; avec cela des coffres vides, des populations pressurées, des passions religieuses surexcitées, un étranger riche, puissant, s’établissant au cœur même de la France, habile à profiter de la pauvreté des uns, du fanatisme des autres, de l’égarement de tous. Combien ne faut-il pas admirer l’homme qui, survenant au milieu de ce chaos inextricable, sut tout relever, tout reconstruire, rendre à la France un gouvernement, des finances, une armée, restaurer le commerce, créer l’industrie, assurer en un mot la richesse, la grandeur et l’indépendance nationales ! Henri IV eut sans doute un puissant auxiliaire, le respect de l’autorité vivace encore au fond des cœurs ; mais, pour un seul allié, que d’ennemis ! Veut-on se convaincre par les faits ? Qu’on suive avec