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autre chose encore quand elle fut veuve et maîtresse de ses actions : les intrigans, les astrologues, les sorciers, les maçons, les architectes, les Italiens de toute sorte et de tous métiers, l’exploitèrent, la dupèrent, la dépouillèrent de cent façons. Pendant que son fils vidait les coffres de l’état au profit de ses mignons, de ses chiens et de ses perruches, Catherine se ruinait à des goûts plus nobles, mais non moins dispendieux. Pour une belle œuvre d’art antique ou moderne, pour un livre rare, pour un manuscrit précieux, elle eût donné tout l’or du monde, si elle l’eût possédé. Ajoutez tous ces bâtisseurs qu’elle entretenait partout, les sommes que lui coûtaient sa crédulité et ses superstitions, l’argent qu’elle semait pour se faire des créatures ; vous comprendrez qu’à ce métier elle dut être bientôt réduite aux expédiens. D’abord elle avait toujours eu quelque Italien tout prêt à lui prêter, sauf à « s’en rembourser au double ; » mais dans les derniers temps plus d’argent, plus de crédit nulle part, ni chez les Français ni chez les Italiens : elle était tombée si bas qu’il lui fallait mendier la garantie de ses serviteurs pour se faire avancer quelques écus. Quelle fin ! C’était la pauvreté complète, le dénûment absolu ! Et nonobstant, un désordre incurable, une incroyable insouciance. Quand on lui remontrait sa pénurie, « elle en riait, nous dit Brantôme, et disait qu’il fallait louer Dieu du tout et trouver de quoi vivre. » Un bohème de nos jours ne répondrait pas mieux ; mais quel respect pouvait commander au peuple une royauté ainsi dénuée ? A la lettre, Catherine vivait aux crochets de ses serviteurs. Prenez la liste de ses créanciers. Au premier rang figurent Jean Mayer et Pierre Rengatz, pourvoyeurs, réclamant 5,930 écus pour dépenses de bouche ; Guillaume Renault et Gabriel Bail, cochers, 500 écus ; René du Moustier, panetier et valet de chambre, 2,400 livres ; un lavandier du linge de bouche, 80 écus ; un cocher du charroi, 22 écus ; un fruitier, 50 écus ; enfin tous les valets de chambre, fourriers, maréchaux-de-logis, réclamant leurs gages ou des avances d’argent par eux faites à Catherine. Chose curieuse, dans cette liste où l’on rencontre à foison des créanciers de toute espèce, des seigneurs, des domestiques, des partisans, des gens de cour, on ne trouve qu’un seul Italien. Tous les autres avaient flairé la débâcle et tiré leur épingle du jeu.

Bien avisés ceux-là, car l’affaire ne fut pas bonne. Sur 800,000 écus de dettes que laissa Catherine, — chiffre énorme, si l’on songe à ce qu’il représenterait aujourd’hui, — sait-on combien il fut payé ? Quelque 2 ou 300,000 livres à peine. Et le reste ? Tant que dura la guerre civile, les créanciers ne purent recouvrer un écu, parce que les ligueurs s’étaient emparés de tous les biens de la reine-mère. Quand l’ordre fut rétabli, quand le roi fut rentré dans sa capitale, ces pauvres créanciers crurent le moment venu de rentrer