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la bienveillance et la protection s’offraient à eux. Ce prince, une fois assis sur le trône qu’il avait enlevé au dernier des Paléologues, Constantin Dracosès, voulant faire refleurir un empire que de longs malheurs avaient ruiné, se hâta d’y appeler les Arméniens comme l’une des nations les plus industrieuses de l’Orient. Il manda leur archevêque Ovakim, dont le siège était à Brousse, et l’établit à Constantinople en lui conférant des privilèges très étendus et les plus honorables. Sous le titre de patriarche, ce prélat et ses successeurs devinrent les chefs non-seulement spirituels, mais aussi temporels de leurs compatriotes, leurs intermédiaires officiels auprès du gouvernement. Telle est la source de l’autorité temporelle du patriarche constantinopolitain ; son pouvoir religieux, comme celui de tous les archevêques et évêques de l’église arménienne, émane du catholicos d’Edchmiadzine[1], chef suprême de cette église. Du siège de Constantinople dépend tout l’épiscopat arménien de la Turquie, qui comprend environ cinquante circonscriptions diocésaines. Naguère en France un prélat déclarait en plein sénat que son clergé « marche comme un régiment. » La comparaison serait quelque peu malséante, si on l’appliquait aux rapports du patriarche arménien avec les évêques et les prêtres qui relèvent de lui. Ces rapports excluent une subordination aussi absolue. Antérieurement aux changemens survenus dans le laps de temps qui s’est écoulé depuis la promulgation de la constitution arménienne en 1860, l’action du patriarche sur son clergé avait un caractère discrétionnaire qui allait jusqu’à l’omnipotence. Les évêques, nommés par lui, pouvaient être révoqués à son gré et sans pouvoir interjeter appel de ses arrêts. Il avait le droit, non de les dépouiller de leur caractère épiscopal, qu’ils ont reçu du catholicos, mais de les priver de l’administration de leurs diocèses, et les exemples de pareilles destitutions n’étaient pas rares. Quelquefois le châtiment était plus sévère, et le prélat révoqué était condamné à vivre confiné dans un couvent, heureux encore si, en perdant la liberté, il évitait une dégradation humiliante ! Il arrivait en effet quelquefois que des ecclésiastiques frappés d’anathème étaient appréhendés au corps et amenés au palais patriarcal, où les attendait l’exécuteur des sentences de son éminence ; armé non pas du glaive de la loi, mais d’un instrument qui, bien que moins terrible, n’était pas tout à fait aussi inoffensif que dans la main de Figaro. Il leur rasait la barbe, qui est un des signes extérieurs de la dignité sacerdotale et un ornement obligé du costume clérical.

  1. Célèbre monastère situé au pied du mont Ararad et fondé au commencement du IVe siècle par l’apôtre de l’Arménie, saint Grégoire dit l’Illuminateur. C’est le saint-siège, le Vatican de la nation arménienne.