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transaction entre les deux partis (1844). La composition du conseil suprême fut modifiée ; on décida qu’il aurait 30 membres, dont 16 pris parmi les notables et 14 dans le sein des corporations. C’était un demi-succès pour la classe moyenne et une espérance pour l’avenir plutôt qu’une complète satisfaction. Il est à remarquer que les députés des corporations, au lieu d’être soumis à l’élection, furent nommés par le patriarche. Les choix de Mgr Matthieu, dictés par le désir de rétablir la paix, tombèrent sur des hommes dont le principal mérite consistait à n’être pas trop désagréables à ceux qui jusqu’alors avaient eu le monopole du pouvoir, et dont ils allaient devenir les collègues. Ces concessions du patriarche amenèrent de part et d’autre une entente momentanée. Quelques années s’écoulèrent avant que des changemens bien autrement importans fussent proposés et adoptés ; mais ce temps ne fut point perdu pour le progrès de la nation. L’année 1844 ouvre une période d’activité qui vit naître et se développer les plus heureuses, les plus utiles créations économiques.

Depuis trois ans, le conseil suprême réorganisé fonctionnait sans encombre, lorsqu’une mésintelligence, suscitée par un motif des plus futiles en apparence et qu’il est hors de propos de raconter ici, éclata entre le patriarche et un des notables les plus influens. Ce personnage conçut le projet de travailler de concert avec ses amis à restreindre l’autorité patriarcale ; il ne cherchait en cela que la satisfaction de ses rancunes personnelles, il était loin de se douter qu’il préparait au peuple un moyen de s’immiscer encore plus avant dans la gestion des affaires. Tel fut en réalité le résultat des intrigues d’une petite coterie et de ses imprévoyantes vengeances. Il y avait parmi les Arméniens de Constantinople un homme fort avisé[1], qui, sous les dehors d’un flegme tout oriental, cachait une âme ardente et des convictions libérales très arrêtées. Il comprit tout le parti que l’on pouvait tirer des circonstances présentes. Il se ligua avec les adversaires de Mgr Matthieu, mais dans des vues plus désintéressées. Il réussit à faire adopter (1847) l’institution de deux conseils destinés à siéger à côté du patriarche : un conseil ecclésiastique, pour surveiller les actes de son administration spirituelle, et un conseil laïque formé de vingt membres, élus par les corporations, pour s’occuper des affaires civiles. Ainsi disparut l’ancien ordre social, déjà très altéré, du moins en principe, par les remaniemens opérés en 1844. L’élection directe et générale était substituée à la domination exclusive des notables ;

  1. Nous voulons parler de feu Agop-Effendi, qui a résidé plusieurs années à Paris en qualité de conseiller de l’ambassade ottomane et qui a laissé chez tous ceux qui ont eu l’occasion de le connaître les plus honorables et les plus affectueux souvenirs.