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de tous côtés ; des orateurs improvisés l’exhortèrent vivement à rester à son poste. Sur son refus, nettement exprimé et réitéré, l’un d’eux s’écria qu’il fallait lui donner un successeur, et que le plus digne était Mgr Jacques, qui précédemment avait occupé le siège. Ce nom fut salué par d’unanimes acclamations ; la résistance des notables devenait impossible devant cette éclatante manifestation de la volonté de tous, et ils se résignèrent avec un semblant de bonne grâce (1848). Pour la première fois, la foule avait contribué à la nomination du patriarche ; son intervention s’était exercée avec un heureux discernement. Mgr Jacques était un homme recommandable par ses vertus, animé d’une sincère piété, agréable à tous et dévoué à la cause populaire. Il siégea jusqu’en 1858, époque où son grand âge, le força de rentrer dans la vie privée ; mais auparavant il eut la joie de voir triompher la cause nationale, dont il avait été l’un des plus zélés défenseurs[1].

Les modifications de 1847 avaient été, à proprement parler, plutôt une déclaration de principes qu’une réforme réellement mise en pratique. Les notables tenaient encore le haut bout dans le conseil civil : aussi, durant les années de calme apparent qui suivirent le second avènement de Mgr Jacques, les hommes qui voulaient que le dogme de l’égalité solennellement proclamé ne restât pas une lettre morte travaillèrent les masses, et y firent pénétrer le désir de conduire à bonne fin l’entreprise commencée. Une constitution, tel fut le mot d’ordre général, et en 1859, lorsque le conseil civil fut renouvelé, un grand nombre de notables en furent écartés ; une majorité qui était l’expression fidèle de l’opinion publique fut portée à la tête de la nation. L’assemblée nouvellement élue agit avec en semble et vigueur ; dans sa première séance, elle nomma une commission, où figuraient quelques ecclésiastiques, pour rédiger un projet de constitution. Cette commission se mit aussitôt à l’œuvre. Il avait été convenu que son travail serait soumis à la sanction du peuple, impatient plus que jamais de faire acte de souveraineté, et toujours en défiance à l’endroit des intentions hostiles qu’il supposait aux notables.

Ces méfiances firent naître quelques troubles qui faillirent dégénérer en scènes de violence, Mgr George[2], successeur de Mgr Jacques, fut par la suite conduit à donner sa démission. Les journaux arméniens, qui commençaient à obtenir quelque crédit, répandirent le bruit que cette retraite précipitée était une protestation

  1. Mgr Jacques est mort à Jérusalem, il y a trois ans, à la suite d’une vive émotion causée par un incendie qui le surprit pendant son sommeil.
  2. Il y a quelques mois, Mgr George a été nommé catholicos en remplacement de Mgr Matthieu, décédé l’an passé.