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A mesure que la lumière s’est faite, le goût de la lecture s’est étendu, et la presse périodique a pris une certaine consistance. Son action jusqu’alors avait été à peine remarquée. Le premier journal arménien ne date que de 1839, et pendant de longues années il fut le seul ; mais postérieurement aux événemens qui ont accompagné ou suivi de près la promulgation de la constitution, les journaux se sont multipliés et ont agrandi le cadre de leurs publications. Ce serait commettre un anachronisme moral et renier l’esprit du siècle que de regretter cette expansion de la pensée. La vérité toutefois nous oblige de dire qu’en gagnant du terrain la presse n’a pas rendu tous les services que l’on était en droit d’attendre d’elle. Elle n’était arrêtée cependant par aucune entrave et n’avait à subir aucune pression étrangère. Chacun pouvait fonder un journal sans autorisation préalable et sans cautionnement, chacun jouissait pour l’expression de ses opinions d’une grande liberté. Malgré les règlemens récemment adoptés par la Sublime-Porte, et qui reproduisent à peu près les dispositions du décret du 17 février 1852, qui régit la presse française, le champ reste assez largement ouvert à la discussion, le gouvernement ottoman ayant à plusieurs reprises déclaré qu’il ne veut en rien gêner les journaux qui se livrent à un examen sérieux et approfondi des questions d’intérêt général.

Les écrivains arméniens n’ont pas à craindre l’indifférence du public auquel ils s’adressent, s’ils ne s’abandonnent pas, comme autrefois, à des controverses religieuses passionnées et interminables, s’ils évitent les violences de langage et les personnalités injurieuses pour s’occuper des véritables intérêts de la nation et des réformes qui restent encore à opérer, s’ils préparent ces améliorations en lui en montrant la convenance et l’utilité, en lui en suggérant le désir. L’opinion publique a encore besoin d’être formée et éclairée en Orient. Les sujets que traitent ces journaux sont assez variés ; la politique, l’histoire, la littérature et les sciences leur fournissent un contingent d’articles adaptés au goût de leurs lecteurs habituels, mais dont le fond consiste principalement en réminiscences de provenance française. Si on essaie de classer les feuilles arméniennes d’après la tendance de leur rédaction, on verra que toutes les couleurs, toutes les nuances même, sont représentées par elles ; les unes placent en première ligne les questions religieuses et sont vouées à la défense de l’église, tandis que les autres s’appliquent à détruire les fondemens de la foi nationale, et ne déguisent pas leur penchant pour les idées protestantes. L’esprit conservateur a ses interprètes tout comme le libéralisme modéré, le libéralisme plus avancé, ainsi que la fougue ultra-radicale. Les doctrines les plus opposées ont toutes, comme on le voit,