Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/937

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guées par l’élévation des sentimens et par un tour poétique dans l’imagination, exerça sur Hoelderlin une influence décisive ; il y prit quelque chose de la délicatesse féminine. En même temps, n’ayant pas à compter avec la volonté plus ferme d’un père, il contracta l’habitude d’une indépendance ombrageuse ; l’assujettissement le plus léger lui devint une douleur. Il vagabondait avec ses frères le long des haies et des rivières, dans une contrée pleine de légendes et de souvenirs qui déjà le faisaient rêver étrangement. Dès qu’il sut épeler, il lut les poètes ; comme Goethe, il déclamait Klopstock à ses jeunes frères.

Il commença le latin dans l’école élémentaire de Nurtingen. L’amour de l’antiquité y était une tradition : c’est là qu’un des plus passionnés philhellènes du XVIe siècle, Martin Crusius, l’Hérodote de la Souabe, avait composé ses sermons en grec. Malgré quelque différence d’âge, Hœlderlin se lia dès lors avec un de ses plus jeunes camarades, que son esprit éveillé faisait recevoir parmi les grands, et qui était destiné à jouir bientôt d’une renommée précoce et à illustrer le nom de Schilling. De Nurtingen, Hœlderlin, après un examen brillant, passa au séminaire de Deukendorf, puis à celui de Maulbronn, où ceux qui voulaient embrasser l’état ecclésiastique étaient instruits gratuitement. Éloigné pour la première fois de sa famille, naturellement solitaire et sauvage, il put s’abandonner à la pente romanesque de son caractère ; il chercha une de ces amitiés idéales si chères aux étudians allemands, et qui sont pour eux l’occasion d’une correspondance intarissable. De ce même temps date aussi son premier amour, autre prétexte à correspondance. L’objet de cet amour était une gentille enfant, cousine d’un de ses amis, fille d’un fonctionnaire de Maulbronn. Il lui écrivait des lettres sans fin, lettres qu’on trouverait aujourd’hui bien naïves pour un garçon de seize ans. Les grands événemens de cet amour sont une rencontre dans un corridor ou dans le jardin de la maison ; mais, tout plein d’Ossian, qu’il lisait alors, il ne lui en coûtait pas beaucoup de s’identifier avec ces héros brumeux et de rêver les aventures de Fingal et de Malvina.

Quoiqu’il éprouvât beaucoup de répugnance à entrer dans la carrière ecclésiastique, il se rendit en 1788 à Tubingue pour y faire ses études de théologie ; mais bientôt son goût pour la littérature et la poésie l’emporta. Avec quelques jeunes gens de son âge, animés de la même passion et qui sont presque tous arrivés dans la suite à une certaine notoriété, il forma une société où l’enthousiasme était le ton habituel. D’une timidité qu’il ne parvint jamais à surmonter complètement, il n’en prit pas moins sur ses camarades un ascendant singulier. La remarquable beauté de ses traits,