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réellement aimable. Il est discret, timide même, et pourtant ouvert. Il s’est expliqué sur différens sujets dans des termes où j’ai reconnu un de vos disciples ; il s’est parfaitement assimilé quelques-unes de vos idées, et il peut avancer encore. Il ferait bien, je pense, de s’essayer à de petits poèmes sur des sujets humains ; il m’a paru avoir un goût pour le moyen âge que je n’ai pu encourager. » Quelque temps après, Hœlderlin publiait la première partie de son roman. Sa vie paraissait calme au dehors ; déjà pourtant elle était troublée par le plus douloureux des orages. On devine facilement que l’espérance de s’arrêter toujours à la limite des douceurs permises avait été trompée, et que l’amour était devenu promptement une source de joies amères pour deux êtres honnêtes assiégés par le remords et la terreur. Ils comprirent que cette liaison, si elle se prolongeait, ne pouvait avoir qu’une issue fatale, et qu’une séparation était nécessaire. Ils eurent le courage de s’y résigner. Après quelles luttes et quelles résistances, les traces incomplètes qu’on en a recueillies ne le disent qu’à demi ; mais Hœlderlin en sortit brisé.

Le déchirement ne se fit pas sentir immédiatement. Au contraire Hœlderlin travaille avec une énergie qui pourrait donner le change et faire croire à sa guérison ; de cette époque datent ses compositions les plus importantes. Cependant les débris d’une correspondance dont la plus grande partie est perdue trahissent la douleur qui subsistait dans ces deux cœurs dévastés. « Je voudrais rêver sans cesse, écrit Diotime, et pourtant rêver est s’anéantir, et s’anéantir est lâcheté… » Il lui échappe ailleurs ce cri amer contre quelque intervention inconnue, qui avait contribué à les séparer : « Il est bien facile aux hommes de laisser en paix ce dont en réalité ils ne se soucient point ; mais, ce qui mérite leur envie, voilà ce qu’ils aiment à troubler et à détruire. » Il ne reste rien des réponses d’Hœlderlin ; mais des poésies où le désespoir coule en torrens avec l’enthousiasme attestent assez qu’il n’était pas plus heureux. Dans des strophes tracées d’une main fiévreuse sur l’enveloppe d’une lettre qui lui était adressée par Diotime, il s’écrie :


« Oublie-moi, oublie-moi, renonce, toi aussi, — cœur bien-aimé, à sauver mon nom du néant. — Garde-toi pourtant de rougir — de ce que tu daignas m’aimer. »


Il ne faut pas croire au surplus que dans ce travail forcené Hœlderlin ne cherchât qu’un divertissement matériel à sa douleur ; meurtri par la réalité, il la fuit et se plonge éperdu dans le monde éternellement regretté de l’hellénisme. Tout ce qu’il fait se rapporte à cet ordre de pensées. Il commence une tragédie d’Agis, où il représentait, jetant son dernier éclat, la liberté