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Une crise aiguë n’est à leurs yeux qu’un mal facile à réprimer dans un pays où le gouvernement est assez fort pour faire exécuter les lois ; mais une erreur systématique et poursuivie avec obstination leur semble un mal incurable. Aussi sont-ils moins effrayés par les cris, les menaces et les voies de fait de Roubaix que par les résolutions pacifiques des coalisés de Paris. L’émeute n’est, dans leur opinion, qu’un accès de fièvre passager, tandis que l’action de l’erreur, lente, patiente, réfléchie, presque incessante, est une perturbation constitutionnelle de l’industrie.

Le moment est-il bien choisi pour faire entendre une voix impartiale au milieu de l’émotion publique ? La vérité sera-t-elle écoutée dans ce conflit bruyant des passions soulevées par les intérêts ? Peut-être, dira-t-on, serait-il sage de se taire et d’attendre une époque moins orageuse ? Tel n’est pas notre avis ; l’économie politique ayant conquis une place incontestée parmi les sciences, c’est un devoir pour ceux qui l’enseignent d’analyser les phénomènes économiques au moment même où l’observation en est facilitée par l’éclat des faits. Il y a aussi avantage à traiter les questions lorsqu’elles occupent l’attention de tous, car cette préoccupation du public donne à l’écrivain la certitude que ses réflexions ne tomberont pas sur des esprits distraits. Les économistes d’ailleurs ne sont pas d’accord sur la nature du salaire, non plus que sur les effets des coalitions ; des discussions récentes ont accusé des divergences d’opinion profondes entre des écrivains qu’on croyait appartenir à la même école. Certains socialistes qui passaient pour ralliés aux doctrines de Turgot et d’Adam Smith, mais qui avaient caché et non brûlé leur premier drapeau, l’ont retiré tout à coup de la poudre sanglante de 1848, et l’agitent au-dessus des sociétés coopératives. D’un autre côté, le parti de la réglementation, qu’on pouvait croire vaincu, se relève au milieu des embarras qu’éprouve la liberté, se vantant d’avoir tout prévu et attribuant les maux dont nous souffrons à l’abandon de ses procédés restrictifs. Que d’erreurs à rectifier ! que d’exagérations à réduire ! que de vaines terreurs à dissiper ! que d’espérances chimériques à ramener du rêve à la réalité ! Nous aurons d’abord à éclaircir la notion du salaire, afin de savoir si en effet il crée à l’ouvrier, comme on l’a prétendu, une situation inférieure dans notre ordre social ; cela nous conduira à étudier les sociétés coopératives, au moyen desquelles on s’imagine qu’on fera disparaître le salaire, et qu’on transformera de fond en comble notre organisation industrielle ; la vérité rétablie sur ces points, il nous faudra examiner dans son principe et ses effets la loi nouvelle sur les coalitions, et, après avoir signalé ce qu’elle a de juste et en même temps l’abus redoutable qu’on en peut faire, nous