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participation aux bénéfices, n’est qu’une rémunération aléatoire, c’est-à-dire variable suivant le cours et l’issue de l’affaire. Nous accepterions tous, ouvriers ou non, une coopération dans une entreprise bien constituée et marchant en pleine prospérité. La même unanimité se produirait-elle, s’il s’agissait de coopérer à des affaires incertaines ? La simple probabilité du succès suffirait-elle pour attirer les ouvriers par la promesse d’un bénéfice éventuel substitué en partie à une rémunération fixe et sûre ? Des expériences faciles à vérifier ne permettent pas de le croire. L’établissement qui l’emploie est-il riche, le commis de magasin aspire à être intéressé dans la maison. S’il y a seulement doute, il ne cherche qu’à augmenter son émolument fixe. Lui offre-t-on, en ce dernier cas, la participation, il ne cache pas sa préférence pour des gages plus élevés. C’est que l’incertitude ne convient pas à tous les caractères. Si les uns, plus hardis, pour ne pas aliéner la chance d’un gain considérable, s’exposent volontiers au hasard de ne recueillir qu’un gain minime et même insuffisant, les autres, plus timides, préfèrent une somme certaine à des profits aléatoires. Toutes les fois qu’on proposera l’association à un groupe de travailleurs, j’affirme qu’il se divisera en deux parts, dont la plus nombreuse demandera que la participation aux bénéfices soit changée en une augmentation de salaire.

La femme de l’ouvrier surtout aime les ressources déterminées et connues d’avance, parce que, pour bien gouverner son ménage, elle a besoin de savoir sur quelles recettes elle peut compter. Or l’influence de la ménagère fait que l’ouvrier à la même préférence. C’est grâce à la certitude des ressources que les dépenses peuvent être conduites de façon à n’apporter aucun trouble dans l’équilibre du budget domestique. — En deux mots, la suppression du salaire n’aura lieu que le jour où tous les hommes seront assez hardis pour affronter les chances qui en peu de temps ruinent ou enrichissent les chefs d’industrie ; mais comment effacer des différences de caractères qui sont inhérentes à la nature humaine ?

Cette diversité n’est point particulière aux travailleurs ; elle se retrouve parmi les capitalistes. Les uns, entreprenans et hardis, mettent leurs fonds dans une industrie qui leur promet de gros dividendes. Le capital sera peut-être perdu ; mais la fortune aime les audacieux, et, si l’affaire réussit, l’opulence remplacera la médiocrité. D’autres au contraire, effrayés par de tels risques, évitent les placemens industriels et recherchent les créances sur particuliers avec première hypothèque, les emprunts publics des gouvernemens bien établis, les obligations de chemins de fer garanties par l’état ; aux gros dividendes, ils préfèrent un intérêt moindre, mais