Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/979

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’injustice envers le patron serait de leur part un mauvais calcul, et, poussée à outrance, la coalition aurait un effet diamétralement opposé à son but. Qu’ils mesurent bien la portée de leurs actes : le sort de leur industrie est entre leurs mains, et ils se léseraient eux-mêmes, s’ils détruisaient ou diminuaient la source où ils puisent le travail.

Les coalitions n’ont cependant pas toujours eu ce résultat ; plusieurs ont été suivies d’une hausse des salaires. A trois reprises, les ouvriers charpentiers ont, par leurs grèves, obtenu l’augmentation du prix de la journée. En 1832, ils firent porter leur salaire de 30 à 35 centimes par heure ; en 1833, de 35 à 40 centimes ; en 1845, ils obtinrent 50 centimes, ce qui fait une journée de 5 francs pour dix heures de travail. En 1862, les ouvriers typographes de Paris furent poursuivis et condamnés pour coalition ; mais leur délit, — alors c’en était un, — n’ayant été accompagné d’aucune violence, une grâce méritée arrêta l’exécution de la condamnation. Le tarif, qui datait de 1850, ne tarda pas à être mis en harmonie avec les conditions nouvelles de la vie matérielle dans la capitale. Le rapport fait au nom de la commission du corps législatif mentionne les ouvriers chapeliers de Lyon comme ayant obtenu, à la suite d’une coalition, « 35 centimes au lieu de 30 pour une façon de feutrage qui aujourd’hui se paie 50 centimes. » Les ouvriers bouchonniers dans le département du Var ont aussi fait monter de 25 centimes par mille le travail à la tâche pour la fabrication des bouchons. En Angleterre, où les coalitions violentes ont presque toujours fait baisser les salaires, des réunions pacifiques ont en 1853 amené une augmentation de 10 pour 100, et pour les ouvriers mineurs du pays de Galles l’augmentation a même atteint 15 pour 100.

Les coalitions ont également réussi toutes les fois qu’elles avaient pour motif des raisons de salubrité. Ainsi en 1854 les ouvriers fondeurs ont obtenu, à la suite d’une grève, la substitution de la fécule au poussier de charbon comme élément séparateur. Quoique ce changement fût de nature à augmenter les frais de fabrication, les patrons ont cédé aux raisons supérieures de santé et d’humanité. On a vu aussi des accords formés entre ouvriers pour obtenir un mesurage plus exact des filés ; c’était un moyen indirect d’arriver à une augmentation de salaire. Le succès d’une réclamation aussi morale n’a rien d’étonnant ; il est plutôt difficile de s’expliquer comment les patrons avaient opposé à cette demande une résistance qui rendait suspect leur procédé de mesurage.

Il résulte de ces observations que la coalition a fait tantôt baisser et tantôt hausser les salaires, suivant que les réclamations étaient ou bien ou mal fondées, suivant que les intéressés ont agi