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confusion que d’attribuer à la nouvelle loi les faits qui viennent de répandre la terreur dans le département du Nord.

Je ne voudrais rien dire qui pût seulement atténuer l’horreur qu’inspirent les actes de destruction sauvage commis par un petit nombre d’ouvriers roubaisiens ; mais j’ai promis de dire toute la vérité, et après avoir exprimé mon sentiment aux rebelles je dois aussi parler sincèrement aux fabricans. Ceux-ci n’avaient-ils omis aucun des devoirs attachés à leur situation ? N’auraient-ils pas porté la peine de quelque imprudence ? Il est incontestable que l’introduction d’une machine nouvelle dans la fabrication est pour les manufacturiers un droit, et pour la société un bienfait. C’est une conquête qui prépare la libération des bras de l’homme. Puissions-nous voir le jour où le travail humain sera tout entier remplacé par des forces mécaniques sous la direction de l’intelligence !… Il est vrai aussi que, jusqu’à présent du moins, les machines, loin de diminuer la somme du travail, l’ont considérablement augmentée. L’imprimerie occupe plus d’ouvriers que l’art rudimentaire des copistes. Les anciennes messageries n’employaient pas un personnel comparable à celui des chemins de fer. En sera-t-il toujours de même dans toutes les occasions et toutes les industries ? Il y aurait là une série de phénomènes économiques à étudier ; mais c’est une étude difficile qui demanderait un travail spécial. Quoi qu’il en soit, à part quelques exceptions, ouvriers et économistes pensent que, pour les sociétés prises d’ensemble, les machines sont un progrès réel. Les sociétés et l’humanité, qui ont la durée, peuvent être patientes ; elles attendent que l’esprit d’invention ait porté tous ses fruits, et remarquent à peine le trouble passager, mais profond, que chaque découverte produit sur quelque point du territoire ou dans quelque classe de citoyens, cette perturbation étant compensée par un surcroît de prospérité générale. Les travailleurs que la machine supplante se plaignent du préjudice immédiat, et, sans nier les chances de l’avenir, gémissent sous la pression de la douleur présente. N’entend-on pas aux ambulances les cris des soldats blessés, même quand l’armée est triomphante ? A l’ouvrier qui souffre actuellement parce qu’une invention, d’ailleurs heureuse, l’a privé de son gagne-pain, il ne convient pas de répondre par des promesses à lointaine échéance, alors que peut-être il est trop âgé pour profiter des avantages futurs qu’on lui annonce. Il est à désirer que les patrons se préoccupent des souffrances temporaires qui résulteront du remplacement des bras par les machines. Qu’ils évitent les transitions brusques, car il leur est facile de prévoir à quelle époque la nouvelle machine entrera dans les ateliers. Dans cette prévision, ils peuvent et doivent avertir les ouvriers dont le concours sera