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assemblées nombreuses et par suite toujours bruyantes ? Partout où la foule est réunie, il y a émotion souvent et quelquefois tumulte. Dans les réunions délibérantes, l’excès du nombre n’est pas favorable à la justice, et la raison triomphe plus facilement lorsque la discussion est resserrée entre quelques personnes choisies parmi les plus éclairées. Les syndicats n’émettraient d’ailleurs qu’un avis, et, comme il ne serait pas obligatoire, les intéressés pourraient refuser de s’y soumettre, s’ils le trouvaient injuste, la liberté du travail étant inconciliable avec le tarif forcé. Il faut en effet qu’un ouvrier, s’il a un mérite exceptionnel, ait le droit de stipuler un salaire élevé ; réciproquement, si un ouvrier n’est point capable de rendre la même quantité d’ouvrage qu’un travailleur de force moyenne, il y aurait injustice à imposer au patron un tarif inflexible. Est-ce à dire que l’avis du syndicat n’aura aucune utilité parce qu’il sera dépourvu du caractère impératif d’une sentence arbitrale ? Cela n’est guère probable ; quoiqu’en droit la liberté reste entière, il est certain qu’en fait l’avis des chambres syndicales pèsera d’un grand poids et aura souvent la vertu de prévenir la lutte. Les intéressés ne s’en écarteront que rarement ; s’ils refusaient de le suivre, on peut affirmer qu’aucun moyen préventif n’aurait eu en ce cas plus de succès. L’intervention des syndicats fera de la grève ce qu’elle doit être, un moyen extrême pour soutenir une prétention équitable après une infructueuse tentative de conciliation. Sans cette institution, l’industrie sera troublée par des coalitions légèrement formées, par des agitations sans but sérieux, par un bruit propre à effrayer le capital. Quant à supprimer absolument les grèves et les coalitions, il faut renoncer à cet espoir ; cet accident a toujours, et sous les lois les plus sévères, menacé les industries, Boisguillebert ne nous apprend-il pas que de son temps on avait vu des ouvriers, au nombre de sept ou huit cents, quitter leurs ateliers et condamner leurs patrons à la ruine par une abstention de deux et trois ans ? L’autorité cependant était assez bien armée sous Louis XIV ; si à cette époque il y a eu des grèves terribles, c’est qu’il n’existe aucun moyen de les empêcher. Ce qui est possible et ce qu’il faut chercher, c’est d’en réduire le nombre et d’en abréger la durée par l’organisation des syndicats.

En terminant, j’engagerai les patrons à ne pas différer jusqu’à l’explosion des grèves les modifications du salaire lorsqu’elles seront demandées avec justice. Que chaque année ils discutent la rémunération du travail avec les mandataires des ouvriers, et réalisent spontanément les améliorations nécessaires. Qu’à l’équité ils ajoutent la bienveillance. Pour s’attacher les auxiliaires, rien ne vaut mieux que la douceur et l’esprit de prévoyance. Ceux qui sauront,