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les hommes en font désormais un chef sans rival dans le parlement britannique. L’an dernier, par des ardeurs de caractère ou des impatiences d’humeur, M. Gladstone laissa s’accomplir une scission dans la majorité libérale : il n’a point regagné cette année les dissidens. M. Disraeli au contraire ne s’est vu abandonner que par un petit nombre d’hommes de son parti, et s’est rallié constamment une portion considérable des libéraux. On a reproché à M. Disraeli d’être revenu aux tendances radicales de sa jeunesse et d’avoir abandonné la cause conservatrice. L’accusation est injuste et d’ailleurs M. Disraeli n’a jamais songé à figer son parti dans l’immobilité qu’exprime le terme de conservation. Conservateur est pour un parti politique une appellation maladroite et malheureuse, maladroite, parce qu’elle rebute tous ceux qui ont le sentiment et le besoin d’un mouvement et de la vie, malheureuse parce qu’elle va contre son propre objet, parce qu’elle enfante des destructeurs par antipathie, parce qu’elle semble condamner à une infériorité permanente le parti qu’elle couvre. M. Disraeli n’a jamais été conservateur dans le sens rétrograde du mot. Il a toujours fait profession de désigner le parti auquel il appartient et qu’en ce moment il dirige du nom de tory ; le torysme de M. Disraeli est celui de l’histoire, celui de lord Bolingbroke par exemple, de lord Shelburne, qui fit entrer M. Pitt dans le cabinet et fut le premier lord Lansdowne. Certes les hommes éminens de l’aristocratie whig ne méritent point le reproche de n’être pas conservateurs. De même le torysme n’a jamais été incompatible avec un libéralisme éclairé. Les tories se sont toujours montrés plus accueillans pour les hommes de talent que la grande ligue patricienne des whigs ; les hommes de talent sans attache aristocratique sont arrivés toujours plus facilement à leur place naturelle et méritée chez les tories que chez les whigs. L’exemple de Canning est la démonstration de ce mérite des tories, et la carrière de M. Disraeli le confirme. Jamais dans les rangs du parti whig M. Disraeli n’eût été chancelier de l’échiquier et leader des communes. Il a conservé sur le torysme allié aux intérêts populaires un idéal de jeunesse qu’il ne craignait point, il y a peu de jours, d’exposer dans une cérémonie fort réaliste, un banquet du lord-maire où tous les convives l’applaudissaient.

Au surplus, le suffrage le plus étendu ne nous paraît pas capable de faire courir des périls aux pays qui savent se gouverner par l’organisation libre des partis. L’organisation des partis, voilà un mot qui ne figure point dans les constitutions, et c’est la chose même qui les fait vivre. On ne trouve point ce mot dans la constitution des États-Unis, et cependant la république américaine ne subsiste et ne prospère que par l’organisation fortement disciplinée de ses partis. On pourra, quand on voudra, donner aux partis en Angleterre des organisations semblables, car on dispose de toutes les libertés à l’aide desquelles on forme ces concerts disciplinés d’opinions. En France nous avons le suffrage