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veut que la civilisation s’avance toujours à l’ouest. Jamais ce principe ne s’est démenti depuis les premiers âges historiques, et il semble être confirmé aujourd’hui par les merveilleux développemens de l’Amérique du Nord, entre le 30e et le 50e degré de latitude, car il est à remarquer qu’une seconde loi historique, a aussi de tout temps concentré la civilisation dans l’hémisphère boréal, sur un espace à peine compris entre 20 et 25 degrés de latitude.

Le grand chemin de fer du Pacifique semble donc venu à son heure. Il traverse des régions pour la plupart privilégiées, celles qui sous ces climats ont été le plus favorisées de la nature et vers lesquelles se porte de préférence le flot des émigrans. C’est vers ce point que les géographes politiques marquent ce qu’ils nomment si justement le centre de gravité des États-Unis. En traversant ces régions, le chemin garde aussi l’avantage de se tenir entre ces cercles de latitude favorisés dont nous parlions tout à l’heure. Il oscille à peine de quelques degrés, remontant ou s’abaissant de quelques parallèles. On peut en dire autant de la route maritime par laquelle on rejoindra d’Europe la station de New-York. Quant à celle qui reliera la station opposée de San-Francisco à tous les ports du Japon, de la Chine et de l’Inde, elle ira vers chacun de ces ports par la route la plus directe. En un mois, en quarante ou cinquante jours, on fera ainsi près des deux tiers du tour du monde par le plus court chemin.

Sur le railway transcontinental, les produits souterrains, d’abord les métaux, le cuivre, le fer, le plomb, l’or, l’argent, ensuite le soufre, le sel, qu’on rencontre en si grande abondance dans l’Utah, le charbon qui existe principalement autour des Montagnes-Rocheuses, toutes ces substances minérales formeront avec les voyageurs, qui resteront le meilleur des colis, les principaux éléments du fret de la voie. Les produits du sol végétal viendront les derniers, quand les énergiques settlers auront défriché les forêts et fertilisé les prairies. A l’aller, se répandront autour de la grande artère de fer les objets manufacturés d’Europe et des états de l’Atlantique ; au retour passeront rapidement, pour aller se déverser vers ces dernières contrées, les productions de la Chine, de l’Inde et du Japon, les épices, la soie, les étoffes de prix, le thé, qui peuvent, par suite de leur valeur, supporter de très longs parcours. Ce déplacement presque instantané qui se produira dans le mouvement commercial du globe sera la cause de l’une des évolutions économiques les plus curieuses que les hommes aient jamais vues. Ce n’est pas le percement des isthmes qui va pour nous supprimer les caps et les obstacles, c’est ce chemin de fer du Pacifique, auquel personne ne songeait hors des États-Unis.


L. SIMONIN.


L. BULOZ