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PROSPER RANDOCE.

homme ? pensait-il. De quel air recevra-t-il les nouvelles que je lui apporte ? Je soupçonne que ce sera une rude secousse pour sa paresse. Je crois déjà le voir bondir sur sa chaise, comme si un pétard lui partait entre les jambes. Il se croit supérieur à toutes les émotions. Nous verrons bien.

Après avoir écrit à sa cousine, Didier s’était jeté sur son lit. Marion vint frapper à sa porte d’un doigt discret et lui annoncer que M. Patru était là, qui demandait à lui parler. Il se leva aussitôt, s’enveloppa dans sa robe de chambre persane et passa dans son cabinet de travail, où le notaire l’attendait. À son air de solennité, il devina sur-le-champ que le jour des explications était enfin venu, et lui avançant un fauteuil : — Parlez, lui dit-il, je suis tout oreilles.

— Je vous annonçai, il y a deux mois, répondit M. Patru, que j’avais un important secret à vous révéler, mais qu’il me manquait encore certains renseignemens… Je les ai reçus, et je viens aujourd’hui…

— Je crains que vous ne veniez trop tard, interrompit Didier.

— Que voulez-vous dire ? fit le notaire étonné.

— Je veux dire que ce qui était possible hier encore ne l’est plus aujourd’hui. Quand vous connaîtrez mes objections…

— Je crois vous entendre, interrompit à son tour M. Patru Vous vous méprenez, mon cher ami. Il est certain que je vous verrais avec plaisir épouser votre cousine ; vous avez pu vous en apercevoir. Excellente affaire pour vous, moins bonne peut-être pour elle. Je ne sais si ce mariage n’est plus possible ; mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Je suis venu aujourd’hui m’acquitter d’une promesse que j’ai faite à votre père vingt-quatre heures avant sa mort, et vous annoncer de sa part une nouvelle qui vous étonnera peut-être : c’est que vous avez un frère.

Didier ne fit pas le soubresaut sur lequel avait compté le notaire ; mais il fut saisi d’une assez vive émotion qu’il ne put dissimuler. Il avait un frère ! De toutes les communications que pouvait lui faire M. Patru, celle-ci était à coup sûr la plus étrange, la dernière à laquelle il se fût attendu.

M. Patru ôta ses lunettes, en nettoya les verres avec son mouchoir, les remit sur son nez, passa sa main dans ses cheveux, toussa pour s’éclaircir la voix ; puis il reprit :

— Je regrette, mon cher enfant, d’avoir à vous apprendre que votre père avait donné un coup de canif à son contrat de mariage ; mais à tout péché miséricorde. Aussi bien je manquerais à mon devoir, si je n’alléguais à sa décharge la circonstance que voici : votre mère faillit mourir en vous mettant au monde, le médecin