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d’avoisiner harmonieusement des blancs et des noirs, est une fort bonne toile, dont l’impression est d’abord donnée par le ton général, faculté plus rare qu’on ne pourrait le supposer et qui était éminente chez Eugène Delacroix. Le coloris, habilement fondu sans mollesse, le dessin, ferme sans être trop sec, prouvent que M. Reimers a des qualités sérieuses, mais elles ne prouvent rien pour l’école russe, car ce sont des qualités exclusivement surprises en Italie. J’en dirai autant de M. Alexandre Rizzoni, qui, dans ses tout petits tableaux représentant des synagogues, va de réminiscence en réminiscence sans parvenir à dégager une originalité sérieuse. Le véritable élément russe me semble représenté à l’exposition universelle par les aquarelles de M. Sokolof : très fraîches, très hardies, largement touchées par un pinceau qui n’a point hésité, elles ont une apparence robuste qui rappelle le Sir Biorn aux yeux étincelans de Cattermole.

La Suède ne déchoit pas, et l’impression excellente qu’elle avait produite en 1855 ne s’est pas affaiblie. On a pas oublié le Prêche dans une chapelle de la Laponie, par M. Höckert, et le très grand succès qu’il obtint ; aujourd’hui le même artiste expose l’Intérieur d’une tente lapone, qui déjà avait figuré en France au Salon de 1857, où il avait été remarqué. En dehors des qualités de peintre qui distinguent M. Höckert, de son coloris puissant, d’une touche ample et forte, de l’ordonnance généralement simple et sérieuse de ses toiles, il y a en lui une sorte de qualité morale particulière et qu’on pourrait appeler l’intimité. Ce dernier tableau excelle en ce point ; il est difficile de donner plus de sérénité, plus de recueillement, plus d’attention soutenue et naturelle à ses personnages. On sent qu’il a fallu vivre dans leur familiarité pour si bien les connaître et les avoir étudiés intus et in cute, pour les si bien rendre. C’est, je crois, dans les scènes de famille, dans les intérieurs moroses, obscurcis et résignés des hautes régions du nord, que M. Höckert doit concentrer les efforts de son talent. Lorsqu’il s’attaque à un sujet d’histoire, Charles XII pendant l’incendie du palais de Stockholm, il est moins à son aise, moins maître de lui ; des préoccupations le saisissent évidemment, on sent trop qu’il n’a pas vu et qu’il invente ; le souvenir des maîtres qu’il a admirés trouble son esprit, et lui ôte quelque chose de sa lucidité ordinaire. C’est toujours une main fort habile et rompue aux difficultés du métier, mais on dirait que les figures historiques la déroutent un peu et ne lui laissent plus ce charme profond qu’elle sait si bien donner à des épisodes moins grandioses et plus contenus. En Norvège, il faut citer M. Tidemand, qui lui non plus n’est pas un nouveau venu parmi nous, et qui prouve, par son Combat