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Celfes ; près d’eux, voici Ulrich de Hutten, un des ardens promoteurs du protestantisme, et le prédicateur Kuhhom, qui latinisa son nom et en fit Bucerus. Au-dessus d’eux, Gutenberg montre avec orgueil la première feuille sortie de sa presse ; à ses côtés se tient Laurent Koster, que la Hollande regarde comme l’indiscutable inventeur de l’imprimerie. Ensuite voici les artistes, le graveur Pierre Vischer, Léonard, Raphaël, Michel-Ange, et tout en haut, le dernier ou le premier, Albert Dürer, dont le broyeur de couleurs est M. Kaulbach lui-même. De l’autre côté, à la gauche du spectateur, l’artiste a placé ceux que, faute d’un mot français, je nommerai les découvreurs, ceux qui en fouillant la nature ont puissamment aidé l’humanité à se dégager des ténèbres du moyen âge, des fictions dangereuses et des superstitions de la magie. Le plus grand de tous, le plus sombre, car sa vie fut dure, apparaît Colomb, posant sa main enchaînée sur le globe terrestre, auquel il a ajouté un monde ; il est, pour ainsi dire, le centre vers, lequel se tournent le géographe Behaim, le grammairien Sébastien Munster, Bacon, Harvey, André Vésale, Franck, qui écrivit l’histoire du monde, Paracelse et le botaniste Léonard Fuchs ; au-dessus d’eux, Giordano Bruno, Cardan, Tychp-Brahé, Kepler, puis Galilée et enfin Copernic.

Tel est l’ensemble de cette immense composition qui, dans une description écrite, peut paraître confuse, mais où le peintre a répandu une lucidité extraordinaire. La division des groupes est si bien observée, le rayonnement des idées consécutives autour de l’idée-mère est si nettement formulé, l’action des personnages est si simple et en même temps si précise, que cet énorme dessin se lit et se comprend d’un coup d’œil ; il se passe de commentaire, on peut facilement saisir tout ce que l’auteur a voulu dire. Cette clarté dans l’allégorie positive de l’histoire est une des qualités les plus remarquables de M. Kaulbach ; elle suffirait à lui donner un rang enviable parmi les peintres, si son admirable talent de dessinateur n’en faisait le premier artiste de l’Allemagne. C’est beaucoup d’avoir de bonnes idées et de vouloir faire entrer la philosophie historique dans l’art : nous avons eu en France des hommes qui ont tenté cette haute aventure et qui ont échoué dans leur œuvre parce qu’ils n’avaient eu que la conception et qu’ils ne pouvaient, comme M. Kaulbach, exécuter, eux-mêmes et d’une façon irréprochable les compositions palingénésiques qu’ils avaient imaginées. C’est là la véritable originalité et la force réelle de M. Kaulbach, sa main va de pair avec son cerveau ; on peut lui appliquer la vieille définition de l’homme : c’est une intelligence servie par des organes. Pour lui, l’art est l’expression plastique d’une pensée toujours