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roi. — Mais cette question de Pologne, qui se présentait sous la forme d’une élection royale et qui s’engageait ainsi, quelle place occupait-elle réellement, quelle était sa vraie signification dans l’ensemble de la politique française ?

Bien des mobiles superficiels se mêlaient sans doute dans une combinaison devenue un moment la préoccupation d’une cour inconstante. Charles IX en poursuivait avec ardeur la réalisation parce qu’il y voyait l’éloignement de son frère, « car il n’était pas trop à son aise, ayant à ses côtés un si grand compagnon ; » Coligny l’approuvait pour les mêmes raisons, quoiqu’il fût fait pour en mieux saisir la portée ; Catherine de Médicis s’y attachait comme à un expédient momentané qui souriait à son ambition pour son fils ; le duc d’Anjou ne s’y résignait qu’avec ennui, et il fallut que « sa mère lui en découvrît le fond pour qu’il prît courage en attendant mieux. » Chacun avait sa pensée et son but. Ce n’est pas la seule fois dans l’histoire que les hommes mettent la main à une œuvre dont le sens échappe à leurs mobiles passions et à leurs courtes vues. Au fond, et c’est ce que M. de Noailles montre avec une pénétrante et sympathique intelligence, l’instinct qui conduisait la France était juste. La France portait à la Pologne la sûreté contre les dangers qui commençaient à l’assaillir ; elle trouvait de son côté en Pologne l’alliance d’une société libérale et guerrière qui, par les principes qu’elle représentait, par sa position, par la force des choses, pouvait et devait être une garantie en Europe.

Les malheurs de la Pologne ont jeté de l’ombre sur son histoire. Il faut se rendre compte de ce qu’était, de ce que représentait réellement dans sa vie intérieure, comme dans ses rapports extérieurs, cette société énergique et brillante à ce moment du XVIe siècle où toutes les ambitions venaient disputer la couronne de Sigismond-Auguste. La Pologne était encore dans l’éclat de la forcer elle atteignait même à l’apogée de sa grandeur, de cette grandeur, œuvre de six siècles d’efforts et de trois dynasties populaires. Par les Jagellons surtout, par cette dynastie lithuanienne, elle était arrivée à cette constitution nationale commencée par l’union d’Horodlo au XIVe siècle, achevée deux siècles plus tard seulement, en 1569, par l’union de Dublin, et qui faisait de la Pologne une puissance allant de la Baltique aux Carpathes, de la Poméranie allemande et du Brandebourg au Dnieper, embrassant tous ces territoires, la Lithuanie proprement dite, la Samogitie, la Ruthénie, la Mazovie, la Grande et la Petite-Pologne. Ce n’est pas par la conquête que cette unité s’était accomplie : jamais acte ne fut plus spontané, plus volontaire et plus libre que la fusion du grand-duché de Lithuanie et de l’ancienne Pologne. Ce n’est pas par les violences