Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’amnistie. « Il jeta le voile de l’oubli sur tous les torts de Novogorod,j dit Karamsin, à la condition que cette cité lui jurerait fidélité éternelle, et ne le trahirait plus ni en actions ni en pensées. » Ce n’était là au reste qu’un épisode de cette guerre croissante que les tsars dirigeaient contre toutes les frontières polonaises du nord au midi, choisissant de préférence la Lithuanie pour champ de bataille. En réalité, c’est au XVIe siècle que cette guerre commence à se préciser, à prendre un caractère agressif et permanent, à devenir une politique, qui ne devait atteindre son but que deux siècles plus tard, si tant est que la politique russe ait jamais atteint son but, parce qu’elle campe en dominatrice précaire et toujours contestée sur un sol toujours prêt à la rejeter.

La prétention de la Russie, je le sais bien, est aujourd’hui de n’avoir fait au XVIe siècle que rentrer dans son domaine légitime en débordant sur les terres polonaises et de colorer ses conquêtes vers l’Occident d’une décevante théorie de nationalité, de se faire le centre du monde slave, d’être la nation-mère et protectrice des Slaves. Je ne discute pas : ce qui est certain, c’est qu’elle a commencé par exterminer des Slaves, c’est qu’elle en extermine tous les jours, c’est que depuis trois siècles la paix n’est point faite entre elle et la nation qui a été assurément la plus brillante, la plus héroïque expression du génie slave. Non-seulement la paix n’est pas faite, mais une sorts de fatalité semble la rendre impossible. La scission dure et ne fait que s’accroître, même dans les apparens triomphes de la force. La persistance de la conquête n’est égalée que par l’obstination désespérée de la résistance. La destruction elle-même est impuissante, elle est à recommencer à chaque génération, et alors la politique est bien obligée de s’arrêter périodiquement devant cette question qui se dégage du sein de l’histoire : d’où vient ce déchirement profond ? A quoi tient cette haine irréconciliable entre des hommes qui seraient également Slaves ? Comment se fait-il que l’œuvre de fusion ou d’apaisement soit encore moins avancée qu’elle ne l’a été peut-être dans d’autres temps ? M. de Noailles en dit la cause : c’est qu’il y a plus qu’une guerre ordinaire, il y a un antagonisme de génie à génie, une incompatibilité de caractère à caractère, l’opposition violente de deux civilisations et de deux esprits. « Ce qui a toujours dominé chez les Slaves, c’est l’amour, excessif peut-être, des libertés civiles et politiques et l’impatience de toute espèce de joug. Il est de principe chez eux que les citoyens sont tous égaux… Contrôler les actes du pouvoir et lui mettre des entraves pour le rendre impuissant à nuire constituent, d’après les idées slaves, les premiers droits du citoyen. Le respect de la liberté individuelle est la base de toutes les