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entier recevait la noblesse. — Le catholicisme en est venu à se faire persécuteur, et ce qu’on n’avait pu obtenir en plein XVIe siècle, les jésuites l’ont obtenu plus tard. La persécution contre les dissidens s’est déchaînée et est devenue le prétexte dont se sont armées les interventions étrangères ; mais à l’époque de l’interrègne le respect de l’indépendance individuelle en matière de religion était encore dans toute sa force. Le principe de la liberté de conscience s’affirmait avec une tranquille et pratique hardiesse ; il s’imposait même à ceux qui au fond du cœur étaient le moins favorables à la réforme ; il se présentait à tous les esprits, protestans et catholiques, comme un gage de paix intérieure. — En un mot, tout ce qui faisait la puissance de la république existait ; les abus n’étaient pas nés, ou du moins ils ne s’étaient pas encore développés. Si au moment voulu une dynastie française s’était établie en Pologne, s’identifiant avec la nation, s’associant à son esprit et à ses intérêts, elle eût réussi peut-être à tempérer et à contenir cette force un peu orgueilleuse qui tendait dès lors à s’exagérer, et qui en s’exagérant courait à sa ruine. Héritière des Jagellons, elle aurait peut-être pu continuer leur œuvre en la complétant, en l’adaptant aux nécessités d’une situation nouvelle.

Voilà ce qu’était ou ce que pouvait être pour la Pologne une dynastie française de bonne volonté. Et pour la France, le succès de cette politique, c’était la Pologne demeurant intacte ; gardant sa place dans l’ensemble du système européen entre la Russie et l’Allemagne ; c’était tout simplement la combinaison la plus sûre pour détourner ce qui était alors l’avenir, ce qui est aujourd’hui le présent. Depuis trois siècles, la France n’a cessé de sentir l’importance que la Pologne avait pour elle : cent fois elle s’est tournée Vers le nord, tantôt pour retrouver cette couronne si mal portée par Henri de Valois, tantôt pour soutenir moralement la république polonaise quand elle était menacée, tantôt pour la plaindre quand elle était accablée, et, chose étrange, elle n’a jamais rien fait sérieusement pour aller jusqu’au bout de ses pensées ou de ses vœux. Elle a tourné dans ce cercle de disputes dynastiques, de négociations vagues, d’interventions inefficaces, de protestations vaines. « La Pologne est trop loin, » disait Louis XV au moment du partage du dernier siècle, et depuis Louis XV cette parole a été répétée bien souvent ; elle a couru le monde comme un mot d’ordre de sagesse pratique, de prudence nécessaire, toutes les fois que cette grande et douloureuse question s’est réveillée. Je ne sais ; mais ce qui est vrai aussi, c’est que, malgré tout ce que peut dire et faire la politique, il y a un instinct obstiné, incorruptible qui refuse de croire à la victoire définitive de la force, qui ne se résigne pas.