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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


sée. Le but était de l’opposer à son ami, dont on lui fit entrevoir la déposition et la succession prochaines, s’il travaillait à le renverser. L’impératrice voulut le connaître, l’empereur le reçut fréquemment à sa table, Eugraphie surtout l’accapara et fit de lui la cheville ouvrière de ses intrigues. Il lui advint même à cette époque un honneur insigne qui semblait le prédestiner à la haute fortune qu’il rêvait. Augusta étant accouchée au mois de février 401 de son quatrième enfant, qui fut Théodose II, au lieu d’attendre pour lui faire administrer le baptême le retour de l’archevêque (pareil retard n’ayant rien que de très ordinaire dans la primitive église), elle précipita au contraire la cérémonie afin que le nouveau-né reçût l’eau sainte des mains de Sévérien. Or on sait que l’accomplissement de cet acte sacramentel conférait au prêtre sur le néophyte initié par lui à la foi un droit de paternité spirituelle et un lien religieux qui durait toute la vie. Sévérien ne fut plus dès lors simplement un évêque étranger en passage à Constantinople, ce fut un prélat attaché à la cour et un successeur désigné à l’évêché de la métropole impériale.

Un hasard fâcheux ayant amené sur ces entrefaites Antiochus à Constantinople, Sévérien le conduisit près d’Eugraphie, qui l’enrôla dans sa faction, puis les deux évêques en recrutèrent un troisième, porteur d’un nom connu et respecté dans la chrétienté orientale. Il se nommait Acacius et occupait le siége épiscopal de Bérée. Les dernières années de sa longue vie (il avait alors plus de quatre-vingts ans) avaient été employées à aimer et à glorifier Chrysostome : c’est même lui qu’on avait délégué à Rome comme un ami sûr et déclaré du nouvel élu pour remettre au pape Siricius le décret de sa nomination et négocier entre l’Occident et l’Orient la communion des deux églises et des deux évêques. Attiré depuis lors à Constantinople par on ne sait quelle affaire, Acacius se piqua d’un procédé fort innocent de l’archevêque son ami. Celui-ci voulut l’avoir à demeure dans son palais épiscopal et l’y logea de la même façon qu’il se logeait lui-même, c’est-à-dire dans un appartement fort simple et fort rustiquement meublé. Le vieil évêque, qui s’attendait à tout autre chose chez le premier prélat du monde oriental, s’imagina qu’on le traitait ainsi par mépris, ou plutôt la malveillance le lui insinua, et comme l’âge avait grandement affaibli son esprit, il s’irrita outre mesure contre son hôte. « S’il me dédaigne, osa-t-il dire, je le lui rendrai bien, et je lui assaisonne un bouillon qu’il ne boira pas volontiers. » Il s’affilia au conciliabule d’Eugraphie.

Tels étaient les graves événemens qui précédèrent le retour de Chrysostome. En abordant au port de Constantinople, l’archevêque fut reçu par un peuple immense qui encombrait le quai et les rues