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son père, en les dépouillant toutefois de leur âpreté. Le plus débonnaire des hommes, doué d’une imagination vive, mais courte, et d’une grande facilité de parlage, c’était un dévot à petites observances et à petites pratiques ; on devinait en le voyant qu’il était né marguillier, qu’il obéissait à un ordre d’en haut en siégeant dans un conseil de fabrique et se prélassant au banc de l’œuvre. Aussi généreux que crédule, il avait été la proie de tous les souffleurs de sacristies, de tous les entrepreneurs d’œuvres pies, qui avaient pratiqué de larges saignées dans son coffre-fort ; cependant ce n’étaient pas les inventions des autres seulement qui avaient compromis sa fortune, les siennes n’y avaient pas nui. Aide-toi, dit le proverbe, et le ciel t’aidera. M. Lermine s’était vaillamment aidé. 11 ne manquait pas d’ambition et se piquait d’avoir des idées. Champion résolu de la bonne cause, mais n’ayant rien d’un soudard, il brûlait de s’illustrer dans une croisade pacifique contre l’esprit du siècle. Selon lui, c’était en s’emparant des imaginations que l’église pouvait se promettre de faire la conquête des consciences, elle devait s’occuper de ramener tous les arts dans son giron. Les yeux charmés ne tarderaient pas à lui livrer les cœurs ; il suffisait de dix chefsd’œuvre imprégnés du génie catholique pour que le monde redevînt chrétien. En conséquence il estimait que le premier devoir de tout bon catholique est de fabriquer des chefs-d’œuvre, et il ne voulut pas en abandonner sa part. On sait quels ravages peut exercer une idée fixe dans un cerveau étroit. M. Lermine se crut obligé de prêcher d’exemple, de payer de sa personne. Dans sa jeunesse, il avait manié quelque peu l’ébauchoir ; il se persuada qu’il y avait en lui l’étoffe d’un grand sculpteur. Il se fit construire un somptueux atelier, qui fut bientôt rempli de ses maquettes ; il prit à sa solde deux praticiens, un ornemaniste, se procura à grands frais les plus beaux marbres, et sonna le massacre. Toutes les carrières d’Italie en frémirent. Ce beau zèle et ces grandes dépenses n’étaient pas du goût de M me Lermine. Les honnêtes femmes ont des exigences et quelquefois des aigreurs. Elle fit à M. Lermine des représentations qu’emporta le vent, reprocha au marguillier son éternel conseil de fabrique et la multitude de ses œuvres pies, au sculpteur ses grandes tueries de marbres, à tous les deux les ridicules qu’ils se donnaient. À son dépit se joignirent bientôt des inquiétudes ; malgré les censures de sa femme, M. Lermine se contenait toujours moins dans ses dissipations. Elle s’aperçut que ses affaires se dérangeaient, qu’il en était aux expédiens. À quoi peut nous entraîner le zèle de la bonne cause ! Exact jusqu’au scrupule, M. Lermine ne laissa pas de commettre une imprudence qui pouvait passer pour une indélicatesse. Il possédait en Normandie une terre sur laquelle M me Ler