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Il n’y avait dans cette précipitation du cardinal Fesch à exécuter les ordres venus de Paris nulle animosité particulière contre la cour de Rome, et pas la moindre envie de se rendre personnellement désagréable au saint-père. Nous croyons volontiers avec les biographes du cardinal qu’il eût mieux aimé n’avoir pas à s’acquitter d’une semblable commission. En sa qualité de prêtre et de prince de l’église, l’oncle de l’empereur était loin de partager toutes les doctrines parfois peu orthodoxes de son neveu. Rien n’empêche de supposer qu’en cette occasion comme dans beaucoup d’autres il ne les désapprouvât même formellement. On pourrait presque le conclure du silence absolu que, dans la société romaine et devant ses collègues du corps diplomatique, le cardinal Fesch garda obstinément sur la teneur de ses instructions ainsi que de l’entière discrétion qu’il imposa sur ce sujet aux membres du clergé français qui faisaient partie de sa légation[1] ; mais, s’il lui était loisible de se taire publiquement sur les intentions du chef de l’empire français, il n’eût pas été sans inconvénient et sans danger pour lui de regarder comme non avenus les ordres positifs qu’il avait reçus. Le soin que, dans sa correspondance particulière, Napoléon avait pris de le rendre personnellement responsable du succès des démarches qu’il était chargé de faire à Rome contribuait aussi beaucoup à détourner le cardinal de l’envie d’ajourner ou de modifier si peu que ce fût l’exécution des volontés impériales. Il ne semble pas y avoir songé un moment ; loin de là, il saisit avec une extrême ardeur cette occasion de rendre de plus en plus incommode et de plus en plus fâcheuse la situation de Consalvi à l’égard du souverain de la France. Au lieu d’atténuer les exigences qu’il avait mission de signifier au saint-siège, le cardinal les produisit dans toute leur exagération, et pour les appuyer se servit ou à peu près dans sa note officielle des propres termes employés par Napoléon. Sentant bien toutefois qu’il y a là des propositions difficilement acceptables pour le chef de la catholicité, il met quelque étude à les revêtir d’une forme aussi ecclésiastique que possible. Après avoir au début expliqué par des raisons purement stratégiques et militaires pourquoi il importe tant à l’empereur de fermer à ses ennemis l’accès de l’Italie entière, Fesch prend successivement le ton de la diplomatie, puis le langage figuratif et sacré de la chaire afin de mieux persuader le Vatican. « Votre Eminence ne saurait, écrit-il, contester au soussigné qu’il est de l’intérêt de Rome de se tenir étroitement liée à la puissance qui rattache toutes celles du midi européen et qui est le centre du domaine de la catholicité. Sa sainteté devrait-elle sacrifier la généralité en considération de quelques membres épars du

  1. Vie du cardinal Fesch, par l’abbé Lyonnet, t. II, p. 4.