Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/431

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Caprara conservaient encore, quoi qu’il en eût, beaucoup de leur primitive rudesse[1].

La première note du ministre des affaires étrangères au légat avait été une courte réponse faite à la lettre adressée par le saint-père à l’empereur à la suite de la congrégation des cardinaux qui avait été tenue le 8 mars 1806. Nous en avons déjà cité le début. Elle maintenait officiellement les exigences que Napoléon avait le premier mises en avant dans sa lettre du 15 février. Cependant il n’y était pas positivement question de la fermeture des ports romains aux ennemis de la France, demande que le cardinal Fesch avait été précédemment chargé de transmettre au Vatican. M. de Talleyrand insistait surtout sur le renvoi des ministres des cours étrangères qui nous étaient hostiles.


« Le soussigné a l’ordre exprès, disait-il, de déclarer à son éminence le légat, que sa majesté est déterminée à ne pas souffrir que dans aucune partie de l’Italie il y ait un ministre d’une puissance avec laquelle la France est en guerre, et que si les gouvernemens des différens souverains de l’Italie ne prennent point des mesures sévères et sûres pour y établir une police telle que les ennemis de la France ne puissent rien

  1. Les personnes qui seraient curieuses de comparer la teneur des instructions données par l’empereur à M. de Talleyrand avec la teneur même des notes signées en effet par le ministre des relations extérieures n’ont qu’à lire, à la date du 26 avril et du 16 mai 1806, les projets de notes qui font partie de la correspondance de l’empereur et les dépêches de M. de Talleyrand en date du 28 avril et du 19 mai de la même année. Voici un exemple parlant de lui-même. Napoléon écrit : « L’empereur n’a pu que reconnaître l’extrême impéritie et la mauvaise volonté de la cour de Rome… » M. de Talleyrand, sans y beaucoup changer, modifie ainsi l’expression du même reproche : « Sa majesté avait lieu de croire les ministres de la cour de Rome assez éclairés et assez bienveillans… »
    Puisque nous rencontrons de nouveau le nom de M. de Talleyrand, nous en profiterons pour dire que des circonstances venues récemment à notre connaissance rendent assez douteuse l’existence réelle de la note dont nous avons parlé dans l’étude qui a paru dans le numéro du 1er janvier de la Revue, note par laquelle M. de Talleyrand aurait conseillé à l’empereur l’exécution du duc d’Enghien. Il est en effet avéré qu’un secrétaire de M. de Talleyrand, avec lequel il s’est brouillé pendant les dernières années de sa vie, était arrivé à imiter si parfaitement son écriture, qu’il a pu en maintes occasions, du vivant de M. Talleyrand, mais surtout depuis sa mort, montrer à beaucoup des contemporains et des amis du prince une certaine quantité de lettres dans lesquelles, avec une rare habileté, il avait intercalé des passages de nature à nuire à la réputation de celui qui lui avait accordé sa confiance. La fraude qui a trompé tant de gens a depuis été parfaitement établis et hautement reconnue par le coupable lui-même. Il est donc possible et il paraît même probable, à cause de la netteté et de la violence des expressions dont M. de Talleyrand aurait bien su se garder en pareille occasion, que cette pièce, à laquelle nous avons prêté trop de créance et qui avait été acceptée comme authentique par des juges extrêmement compétens, peut être mise au nombre de celles qui doivent être tenues en très grande suspicion.