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si habile, si particulièrement dévoué à sa personne ; il s’y résolut néanmoins. Aussi bien le saint-père, malgré sa modestie et sa douceur, commençait à se lasser de lire incessamment dans toutes les dépêches émanées de Paris qu’on le considérait comme placé à tout jamais sous l’influence exclusive de son secrétaire d’état. « Est-que que ces gens-là, s’échappait-il à dire quelquefois, veulent à toute force me faire passer pour une poupée (fantoccino) ; je leur ferai bien voir qu’il n’en est rien. » À ce point de vue, il ne déplaisait pas absolument à Pie VII de changer son secrétaire d’état, quoiqu’il demeurât au fond du cœur toujours rempli pour lui d’une tendresse véritable et presque passionnée.

Tandis que la résolution de ce prochain changement s’arrêtait définitivement entre Pie VII et Consalvi, le cardinal Fesch, s’apprêtant à quitter Rome, demanda, comme il est d’usage, la faveur d’une audience particulière afin de prendre officiellement congé du saint-père. Les dispositions de l’ambassadeur de France, nous l’avons maintes fois répété, n’étaient rien moins qu’hostiles à la cause de la cour de Rome. Comme prince de l’église, il était loin d’approuver entièrement les théories excessives récemment mises en avant par son ambitieux neveu sur la subordination nécessaire du chef de la catholicité à l’égard d’un pouvoir purement temporel ; mais un certain guignon, provenant de l’irascibilité de son caractère, paraît s’être toujours attaché, quoi qu’il en eût et du commencement jusqu’à la fin, aux démarches les mieux intentionnées du malencontreux cardinal. Une scène des plus violentes signala sa dernière entrevue avec Pie VII.


« Je pars pour Paris, avait dit en entrant l’ambassadeur de l’empereur, et je prie votre sainteté de me donner ses commissions. — Nous n’en avons pas à vous donner, dit le saint-père ; nous vous chargeons seulement de dire à l’empereur que, quoiqu’il nous maltraite beaucoup, nous lui demeurons fort attaché ainsi qu’à la nation française. Répétez-lui que nous ne voulons entrer dans aucune considération, que nous voulons être indépendant, parce que nous sommes souverain ; s’il nous fait violence, nous protesterons à la face de l’Europe, et nous ferons usage des moyens temporels et spirituels que Dieu a mis entre nos mains. — Votre sainteté, reprit le cardinal, devrait se rappeler qu’elle n’a pas le droit de faire usage de l’autorité spirituelle dans les affaires présentes de la France avec Rome[1]. »

  1. Dépêche de M. Alquier à M. de Talleyrand, 17 mai 1806. — Nous prenons cette version du dialogue entre le saint-père et le ministre de France dans la dépêche de M. Alquier. Les choses sont un peu différemment racontées dans les dépêches du cardinal Consalvi au cardinal Caprara des 23, 24 et 28 mai 1808, et d’une façon qui est naturellement plus défavorable au cardinal Fesch ; mais, conformément à notre habitude, nous préférons appuyer notre récit sur des documens qui, par leur origine même et par la nature des opinions connues de ceux qui les produisent, sont d’autant plus irréfutables.