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menuisiers et des charpentiers, et qui sont généralement adoptées par les autres trades’ unions, ont une portée considérable. Elles ont pour objet de soustraire à la connaissance des magistrats les méfaits et les abus de pouvoir commis par les unionistes et surtout par leurs chefs. Par cette législation intérieure, ces sociétés forment comme un petit état indépendant, qui a sa justice particulière et prétend se soustraire à la justice du pays. Il est vrai qu’elles avaient eu à se plaindre du parlement et des tribunaux réguliers ; mais le remède qu’elles ont cru devoir apporter à cette situation est pire que le mal. C’est là ce qui les a perdues dans l’opinion publique ; cette prétention de fonder un état dans l’état leur enlève tous les jours davantage l’intérêt que la presse leur avait témoigné tant qu’elles avaient su se maintenir sur le terrain de la légalité et du droit commun.

Bien qu’exorbitantes en principe, ces amendes, ces expulsions infligées par les chefs des unions, sont loin de donner une idée suffisante des dangers que cette organisation fait courir aux sociétaires lorsqu’ils essaient de secouer le joug de leurs nouveaux maîtres. L’autorité des chefs qu’ils se sont donnés est cent fois plus arbitraire, plus dure, que ne le fut jamais celle des patrons. On voit par l’enquête que les récalcitrans sont soumis à des moyens d’intimidation violens, dont la grève actuelle des ouvriers tailleurs dans Londres n’a fourni que des exemples très pâles et qui ont été énergiquement flétris par les magistrats. Ces exécutions secrètes, qui rappellent les pratiques de la Sainte-Vehme, sont de deux sortes. Il en est quelques-unes que les ouvriers avouent, bien qu’elles ne se trouvent pas dans les règlemens ; il en est d’autres plus terribles et plus cachées, mais non moins bien constatées aujourd’hui, que les ouvriers nient avec indignation. Comme il arrive dans tous les cas pareils, ces sentences sont désignées par des mots conventionnels, dans cet argot qui est de l’essence de toute société secrète. Nous en ferons connaître une application habituelle.

Lorsqu’un ouvrier devient gênant (obnoxious) pour les autres membres de l’union, soit en travaillant dans un atelier mis en interdit, soit en ne refusant pas de travailler avec un individu étranger à la société, soit pour tout autre motif, la première punition qu’on lui inflige consiste à rompre toute relation avec lui. Les autres ouvriers ne lui parlent plus, ne répondent plus à ses questions, et au lieu de l’aider au besoin dans sa besogne ils s’efforcent de lui susciter toutes les difficultés possibles. Cette sorte d’excommunication ouvrière s’appelle envoyer quelqu’un à Coventry[1].

  1. Cette phrase, dont bien des gens ignorent la signification, n’est pas tout à fait moderne : elle fut employée d’abord au XVIIe siècle par les cavaliers, qui envoyèrent à Coventry les puritains.