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problèmes métaphysiques, il semble qu’ils ne soient pas là à leur place ; on ne songerait même à rien de semblable, si le souvenir de Descartes et de Spinoza ne se présentait à l’esprit pour nous rappeler que cette noble terre compte aussi dans l’histoire de la pensée philosophique, qu’elle a eu l’honneur d’être le refuge de l’un, là patrie de l’autre, et le problème s’élève de nouveau : comment le panthéisme géométrique a-t-il pris naissance dans le pays de la vie et de l’individualité ?

Je sais ce qu’on pourra répondre. Spinoza, dira-t-on, est né en Hollande, mais il n’est pas Hollandais. C’est un Juif, et la race juive s’est mêlée avec tous les peuples de l’Europe sans se fondre avec aucun d’eux. Ne cherchons donc dans Spinoza ni les qualités ni les défauts de la race flamande. Ici le lieu de la naissance est indifférent, c’est la race et non le milieu qu’il faut considérer. J’entends bien ; mais, ne nous apprend-on pas d’un autre côté que la race sémitique est tout à fait impropre à la spéculation métaphysique, que les Juifs n’ont jamais eu de philosophie originale, et même qu’avant la dispersion ils n’ont pas eu de philosophie du tout, au moins à Jérusalem, — que les Arabes eux-mêmes ne sont que des commentateurs ainsi que les savans juifs du moyen âge ? Ainsi la race n’explique pas plus que le climat ou le milieu le génie de Spinoza. Dira-t-on qu’une fois mêlés aux autres races, il n’est point étonnant que les sémites leur aient emprunté quelques qualités, et que c’est ainsi qu’un Philon, un Maimonide, un Spinoza, sont devenus possibles ? On parle alors très sagement ; mais c’est dire en d’autres termes que d’innombrables circonstances très variées et indéterminables se croisent et se compliquent pour produire les événement de l’histoire de l’intelligence, et que les causes génératrices du génie en général, et de tel ou tel génie en particulier, sont trop complexes pour s’exprimer en une seule formule.

Cependant certaines causes générales peuvent servir à faire comprendre pourquoi le spinozisme a pu se produire en Hollande au XVIIe siècle plutôt qu’en tout autre pays, par exemple en France ; mais ces causes sont de l’ordre moral et non de l’ordre physique. La vraie cause, c’est que la Hollande était alors le seul pays de l’Europe où régnât une certaine liberté de penser. Sans doute cette liberté était loin d’être absolue ; elle n’était cependant pas très inférieure à celle dont on se contente aujourd’hui dans certaines contrées de l’Europe, et relativement à l’état des pays catholiques au XVIIe siècle (France, Espagne, Italie), relativement même à certains pays protestans (Angleterre et Genève), on peut dire que la Hollande était alors le centre de la libre pensée. Ce qui le prouve suffisamment, c’est que Bayle et Spinoza ont pu y écrire sans être trop inquiétés. Il n’est donc pas étonnant que dans un pays où