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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/492

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pieuse s’interposaient entre ses idées et lui, voilaient à son esprit les écueils de sa propre philosophie ; mais comment Spinoza se serait-il trompé lui-même à ce point ? Quel bandeau avait-il sur les yeux, lui qui s’était affranchi du joug de toutes les églises, qui ne tenait au monde par aucun endroit, dont l’âme fière et implacable n’a jamais fait aucun sacrifice aux effusions de l’âme, aux illusions de la piété traditionnelle, aux inquiétudes d’un cœur blessé et souffrant ? Non, rien ne l’empêchait de voir clair sur lui-même. D’un autre côté, il était incapable de mentir ; s’il a donc conservé le nom de Dieu, c’est que ce nom correspondait à sa pensée, à sa vraie pensée.

Mais laissons ces premières présomptions, et allons aux choses elles-mêmes. Spinoza, nous dit-on de part et d’autre, a nié Dieu, car il a nié la personnalité divine. La personnalité divine est-elle donc le premier attribut de Dieu ? En est-elle l’essence, la définition ? En aucune façon. Il n’y a pas un seul philosophe au XVIIe siècle, même parmi les théologiens catholiques, qui définisse Dieu par la personnalité. Tous, sans exception, Descartes, Malebranche, Bossuet, Fénelon, définissent Dieu « l’être infiniment parfait, l’être sans restriction, l’être sans rien ajouter, etc. » Or c’est là la définition de Spinoza. Suivant lui, « Dieu est une substance infinie, constituée par un nombre infini d’attributs infiniment infinis. » Ainsi que Descartes, il prend être, réalité, perfection, comme une seule et même chose. L’être infini est donc la perfection infinie. Le principe des choses n’est pas pour lui, comme pour Hegel, le moindre être possible, quasi identique au néant ; ce n’est pas, comme pour les post-hégéliens, la matière avec ses propriétés physiques et chimiques, c’est l’être dans sa plénitude, dans son essence éternelle et absolue. Toute perfection, tout bien coule de la substance comme de sa source, et ce ne serait pas forcer les termes que de dire que, pour Spinoza comme pour Platon, Dieu est le bien en soi, l’idée du bien.

On peut lui contester sans doute la manière dont il entend cette perfection absolue ; on peut lui dire que la personnalité, la conscience et la volonté libre sont les attributs nécessaires d’un Dieu vraiment parfait. Je le veux bien ; mais ce sera là une controverse ultérieure. Descartes, lorsqu’il nous parle de l’être parfait, ne dit pas en quoi consiste cette perfection. Saint Anselme, lorsqu’il définit Dieu « l’être le plus grand que l’on puisse concevoir, quo non majus concipi potest, » ne dit pas non plus en quoi consiste cette grandeur. L’essence de Dieu, considérée en soi, se distingue des différens attributs par lesquels nous essayons de déterminer cette essence. Lorsque Fénelon dit de Dieu que l’expression « d’esprit » elle-même est inapplicable à Dieu et qu’il n’en faut dire que ceci,