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PROSPER RANDOCE.


blanc dans le cabinet de M. Lermine, essaya d’entrer en pourparlers ; il essuya des hauteurs, fut assez brusquement éconduit. — « Vous vous êtes trompé de porte, lui dit M. Lermine en rompant l’entretien, M me Lermine est sûrement dans son salon, » et rentrant sa tête dans ses épaules : — « Je suis de ces hommes qui ne comptent pour rien, qu’on n’aperçoit pas, qui n’existent pas. » Prosper se retira confus et mortifié ; mais il ne se laissa pas abattre par ce premier échec et résolut de poursuivre sa pointe. Il ne manquait pas de pénétration, savait trouver le joint des hommes et des choses. Il composa un prospectus du Censeur catholique, et lorsqu’il eut mis la dernière main à cette pièce d’éloquence, il la fit tenir à M. Lermine, qui eut la surprise et le plaisir d’y reconnaître ses propres idées, rendues dans un style vigoureux, imagé, chargé de couleurs et chamarré de broderies. C’était un chef-d’œuvre de cette dévotion truculente qu’on préfère aujourd’hui aux élévations de Bossuet et à tout le miel de Fénélon.

Deux ou trois jours après, Randoce reçut un billet ainsi conçu : à Monsieur, je suis la sincérité même, et je vous avouerai que je me sens partagé entre l’admiration que je ne puis refuser à votre talent et le peu de goût que m’inspire votre personne. Je réfléchirai et vous ferai connaître plus tard ma décision. »

Sur ces entrefaites, M. Lermine était parti pour Saint-May, et Prosper n’avait pas tardé à se mettre en route pour aller l’y relancer. Il croyait à son étoile, il aimait à brusquer la fortune, il avait juré d’emporter la place d’assaut ; mais l’assistance de Didier pouvait lui être fort utile pour triompher des ressentimens de M. Lermine. Didier était en haute considération auprès du bonhomme ; patronné par lui, Prosper tenait l’affaire faite. Aussi avaitil décidé de s’arrêter à Nyons pour réclamer ses bons offices et le supplier de l’accompagner à Saint-May. La fortune l’avait bien ser i ; Didier avait prévenu son désir, et Prosper avait eu l’heureuse chance de le rattraper en chemin. Tout lui présageait un prompt et facile succès ; il se promettait de désarmer les préventions de M. Lermine par les agrémens de son esprit et la rondeur de ses manières, il lui prouverait que Prosper Randoce était, somme toute, un bon diable. L’éloquence de Didier ferait le reste.

Didier avait écouté dans un profond silence ce récit et ces conclusions. Prosper attendait sa réponse ; mais il ne se pressait point de la donner. Il observait le paysage d’un air rêveur et caressait de sa cravache la crinière de son cheval. Son compagnon s’impatienta, et le regardant de travers : — Vraiment vous manquez d’enthousiasme ! lui dit-il. Je m’attendais que vous alliez me congratuler, m’encourager : Savez-vous vous que n’êtes pas conséquent ? Eh