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— Il est bien entendu, poursuivit M. Lermine, que je ne vous demande pas de me garantir la sincérité de ses convictions ; c’est une affaire à discuter entre lui et moi. Sur ces questions, un mécréant comme vous n’a pas voix au chapitre ; mais je suis enchanté que vous me répondiez de son caractère. Ce garçon possède un talent hors ligne que je serais bien aise d’employer pour la bonne cause. Si jamais nous entrons en affaire, il n’aura pas, je vous jure, à se plaindre de moi… Tenez, écoutez ceci…

Et à ces mots il tira de sa poche un manuscrit, qu’il se mit en devoir de lire à haute voix. C’était le fameux prospectus dont Didier connaissait déjà plus d’un passage. M. Lermine déclama cette pièce d’éloquence d’une voix grave et lente, soulignant presque chaque mot, faisant ronfler les chutes de phrases, s’interrompant par des : eh bien ! que vous en semble ? On eût dit à son air ravi an gourmet, qui déguste un vin de bon cru. Quand il eut fini : — Mais à propos, dit-il, où donc s’en est allé votre protégé ?

M. Randoce était incertain de l’accueil que vous lui feriez, il a jugé convenable d’aller attendre votre décision à Rémuzat.

— Voilà un trait de modestie qui me paraît de bon augure. C’est un vrai trésor qu’un sage ami. Convenez que c’est vous qui lui avez donné ce conseil.

— Je vous répète, reprit Didier, que ce matin j’étais parti seul de Nyons, mais qu’à Sahune…

M. Lermine l’interrompit encore. Le menaçant du doigt : — Ah ! monsieur le philosophe, je vous surprends en flagrant délit de restriction mentale ! — Et il ajouta : — C’est égal, il est assez plaisant que le directeur d’un journal catholique reçoive son rédacteur en chef de la main d’un hérétique… Bah ! chrétiens ou non, tous les honnêtes gens sont de la même confrérie.

Le lendemain matin, à la demande de M. Lermine, Didier dépêcha une estafette à son frère. Si satisfait que fût Prosper des nouvelles qu’il recevait, il sut modérer ses empressemens et ne se rendit à Saint-May que dans l’après-midi. Le trio fit une longue promenade dans la montagne. Le bonhomme avait ses jours de malice, il voulut que Prosper achetât M. Lermine ; il affecta de le traiter cavalièrement, de lui tenir la dragée haute, ne lui parlant de rien, faisant peu d’attention à sa personne, si ce n’est que de temps à autre il lui décochait une épigramme. Prosper était trop lin pour ne pas s’apercevoir qu’on le mettait à l’épreuve ; il prit tout en bonne part, se tint modestement à sa place, sans impatience comme sans bassesse. Au retour, M. Lermine voulut le retenir à dîner ; Prosper trouva un prétexte honnête pour refuser. Quand il fut parti, M. Lermine dit à Didier : — Je commence à