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Il écrivait le 12 janvier 1836 au duc de Broglie : « J’ai présenté avant-hier 10 mes lettres de créance à l’empereur. J’ai été conduit au palais et introduit avec toute l’étiquette pratiquée en pareille occasion. Je me proposais, en remettant mes lettres, d’adresser à l’empereur quelques paroles, sinon solennelles, du moins un peu officielles ; mais il m’a reçu dans son cabinet, seul. A peine étais-je entré que je me suis trouvé près de lui, et il m’a sur-le-champ adressé la parole avec une familiarité tout obligeante, parlant avec une sorte de volubilité facile et élégante qui ne laissait plus aucune place à ce que je me proposais de dire. La conversation a commencé par des complimens tout à fait personnels ; l’empereur a assuré qu’il se ressouvenait de m’avoir vu à Paris, ce qui n’est vraiment pas possible ; puis il m’a parlé des emplois que j’ai occupés, de la préfecture de la Vendée, des missions que j’ai eues comme auditeur. La conversation continuait toujours à son gré et telle qu’il la voulait ; il a parlé de la diplomatie, qui ne ressemblait plus à ce qu’elle avait été : — « Maintenant on se dit tout ; chacun a la même intention, chacun veut la paix ; elle fait le bonheur de toute l’Europe ; vous avez vu combien l’Allemagne en profite, et combien elle souhaite sa conservation ; quoi qu’on pense et qu’on puisse dire, c’est de même ici ; la Russie aussi a besoin de la paix, elle a fait quatre guerres depuis vingt ans, elles ont coûté beaucoup de millions, et, ce qui est plus regrettable, la vie de trois ou quatre cent mille hommes. Il est temps de ne s’occuper que du bien des peuples. Vous verrez que je vous parle sincèrement et que je n’ai point d’arrière-pensée, ma politique est toute de franchise et de loyauté. » — Il prenait ma main en la serrant, et continuait : — « On parle de guerre ; mais elle ne se fait que par nécessité ou volonté ; par nécessité, il n’y en a aucune personne ne veut rien ; il n’y a nulle affaire, nulle difficulté ; par volonté, ni moi, ni aucune autre puissance ne veut la guerre. » — Tout cela était entremêlé de quelques mots de moi, j’appuyais sur ce qui, dans les paroles de l’empereur, me semblait utile à remarquer, je donnais aux choses une nuance qui se rapportât mieux à notre politique française ou à notre situation. Cependant je craignais que cette audience ne se passât sans qu’il y eût un mot dit sur le roi, ce qui eût été grave ; il me semblait même que, pour échapper à cette obligation, l’empereur avait donné ce tour vif à la conversation et en avait fait une causerie familière ; je guettais une occasion. Comme je tenais à la main mes lettres de créance, l’empereur les a prises en disant : — « Il faut que je vous débarrasse de cela, » — et il les a posées sur une table. Je lui ai dit alors que dans sa bonté il avait ôté à ma présentation tout