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PROSPER RANDOCE.


croyez-vous qu’il ne m’en ait rien coûté ? J’aurais voulu vous y voir…. sans compter que je m’étais fait le rabouteur de tous ses vers boiteux. Combien de ces invalides j’ai pansés, rhabillés, raccommodés ! Elle avait fait de ma chambre un hôpital… Allez, après l’apurement de nos comptes, c’est elle qui me redoit, et j’ai ma décharge en règle… Mais prenez donc un cigare, mon cher.

— Si votre conscience est si nette, poursuivit Didier en se contenant, et qu’il vous paraisse si simple, si naturel, de mettre à contribution un homme dont vous avez possédé la femme, d’où vient que vous m’ayez fait mystère de vos relations avec M’e Lermine ?… Peut-être me trouvez-vous bien curieux ?

— Eh ! parbleu ! vous l’êtes aujourd’hui : mais vous ne l’étiez pas il y a trois mois. Vous êtes-vous donné la peine de me questionner ? Cette belle Italienne… Vous vous y êtes laissé prendre. Était-ce à moi de vous désabuser ? Et d’ailleurs réveillez vos souvenirs, noble Caton ! À Sahune, je vous ai fait voir une quittance qui vous eût tout révélé. Il ne tenait qu’à vous de la lire.

Didier ne pouvait dire non : il convint en lui-même de la justesse de cette riposte et maudit une fois de plus son indolence, qui le rendait avare de paroles et de mouvemens. Il ne répondit rien : mais présentant à son frère le court billet de M’e Lermine : — Lisez et méditez ! lui dit-il.

Prosper lut et se mordit les lèvres jusqu’au sang. — Fort bien. dit-il avec colère : on me menace, je ne reculerai pas d’une semelle.

— Vous reculerez. C’est moi qui vous le demande et qui au besoin vous l’ordonne.

— Oh ! la. ce langage m’est nouveau… Et quel droit avez-vous de me donner des ordres ?

— Le droit d’un homme qui, en dépit de tout, vous veut encore du bien… Savez-vous ce que vous allez faire ? M. Lermine vous attend à dîner. Une circonstance imprévue vous rappelle à Paris. Ecrivez cela. Je lui remettrai le billet. La diligence de Gap passe ici dans deux heures. Vous partez. Arrivé à Paris, vous trouvez un prétexte pour rompre, et l’honneur est sauvé.

— Je ne partirai pas ! s’écria Prosper en frappant du pied.

— Vous partirez, c’est moi qui vous le dis, répéta Didier sans s’échauffer.

— Sur mon honneur ! vous êtes plaisant, très plaisant. On voit que les paroles ne vous coûtent rien. Quoi ! vous pouvez vous imaginer que sur une menace en l’air je m’en vais renoncer bêtement à une affaire superbe qui me promet gloire et profit. Douze cents franco par mois ! cela se trouve-t-il dans le pas d’un cheval ? Non,