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Vlad, il se passionna, dans les hautes vallées de l’Olympe, du Valtos et du Xéroméro, pour ceux qui, sur la rive voisine de la mer Ionienne, faisaient reculer Mahomet II et ses bandes asiatiques. Le surnom de Scander-Beg, donné à Jean Castriote, montre assez que le peuple voyait en lui un autre vainqueur de l’Asie, un héritier du fils de l’Albanaise Olympias, le « dernier des héros de la Macédoine, » suivant la juste expression de Pouqueville. C’est ainsi que, dès le lendemain de la conquête, la Grèce, comme l’Albanie, trouva dans un homme extraordinaire le type du guerrier chrétien[1], bien supérieur au Marko Kraliévitch des pesmas, à ce « valet des Turcs » que la belle et fière Roçanda refusait d’accepter pour époux. Scander-Beg, devint l’idéal de ces klephtes dont la muse populaire a tant flatté le portrait, sans doute parce que leur cause s’identifiait au fond avec celle de la patrie.

Le peuple grec devint dès ce moment l’allié naturel et le secret complice des Albanais ; des Roumains, des Serbes, des Bulgares, et vit en eux, non plus comme autrefois des étrangers à expulser ou à soumettre, mais des chrétiens aspirant comme lui à la délivrance. Qu’on ne s’abuse pas cependant sur la force de cette alliance au point de vue politique, ni sur le caractère du sentiment chrétien qui l’a formée. Cette alliance, toute de sympathie, n’aboutit jamais à une action d’ensemble bien concertée, ou, si l’on veut, à une sorte de fédération militaire. Chaque race applaudissait volontiers au succès des autres, profitait avec joie, quand elle le pouvait, des embarras créés à l’ennemi commun, mais ne combattait guère que pour elle-même et à son heure. Quant à la religion, elle entrait en effet pour beaucoup dans la haine qu’inspiraient les Turcs, et sous ce rapport elle fut un des éléments les plus actifs du patriotisme renaissant ; mais elle parlait au cœur des Grecs plus qu’à leur imagination ; elle dirigeait plus facilement leurs bras que leur intelligence. Elle se modifie même d’une façon assez heureuse à ce moment de leur histoire. les dissensions monacales, les aberrations mystiques, ces dernières passions d’un peuple déchu et désœuvré à qui son gouvernement n’avait pas laissé d’occupations plus mâles, tout cela s’évanouit presque en même temps que les puérilités de l’étiquette de cour et les sottes intrigues des « clarissimes » et des « illustrissimes. » La réaction est telle que les poètes klephtiques iront bientôt chercher leurs inspirations, dans les vagues souvenirs de la Grèce païenne et libre plutôt que dans les lâches enseignemens d’une théologie depuis des siècles façonnée au goût des autocrates ; Proscrits et fuyards s’assemblent dans les montagnes ; l’Olympe rouvre à ses vieux enfans ses flancs miraculeux, et au sortir

  1. Sur Scander-Beg, voyez la Revue du 15 mai 1866.