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convictions ; c’est moins encore parce qu’on craint sa disgrâce qu’on ne lui dit point la vérité que par la certitude qu’on prendrait une peine inutile, d’autant que, par la tournure de son esprit, ses opinions sont absolues et ne comportent pas de nuances. Je parle surtout pour ce qui se rapporte à la politique extérieure et à la connaissance de l’Europe, car en ce qui touche la Russie et son gouvernement intérieur l’empereur a un mélange remarquable de volonté et de prudence, de despotisme et de ménagemens. »

« Quand j’ai vu, disait dès le 9 février 1836 M. de Barante, que cette disposition hostile de l’empereur envers la France revenait souvent dans nos diverses conversations, j’ai cru à propos d’en parler froidement, comme d’un fait que nous connaissions fort bien, dont nous ne nous exagérions pas les conséquences et dont le plus ou moins de durée n’était pas pour nous une grande affaire. Ce n’est pas ce que je dis expressément ; mais le ton dont j’en parle signifie cela ou à peu près. »

En novembre 1840, j’avais quitté l’ambassade de Londres ; le cabinet du 29 octobre venait de se former ; j’avais la charge des affaires étrangères, M. de Barante m’écrivit[1] : « Mon cher ami, me voici sous vos ordres, et je vais me trouver en correspondance officielle avec vous, après avoir vu cesser avec regret notre correspondance intime. Il me semble que nous devons nous trouver en parfaite conformité de vues sur la politique extérieure, comme aussi sur la situation intérieure. Vous prenez les affaires à un moment difficile. La situation actuelle pouvait-elle être évitée ? C’est ce que vous savez et ce que j’ignore ; si je suis assez bien au courant des cabinets du continent, je n’ai nulle connaissance de l’Angleterre, et encore moins de lord Palmerston. Vous n’aurez certes pas le temps de lire la série de lettres où j’ai essayé de faire connaître comment et pourquoi la Russie s’est mise avec tant d’empressement à la disposition de lord Palmerston pour signer tout ce que nous ne voudrions pas et ce que l’Angleterre voudrait. Rompre l’alliance entre la France et l’Angleterre a été, depuis dix ans, la pensée fixe de l’empereur Nicolas. Longtemps il a cru que cette rupture entraînerait nécessairement la guerre européenne, et dans son imagination il se donnait le rôle de l’empereur Alexandre et de chef magnanime de la croisade contre la France. Peu à peu il a vu que l’Autriche et la Prusse n’étaient nullement disposées à lui donner cette joie, de sorte qu’en poussant au traité du 15 juillet dernier, c’était presque sans idée ultérieure de guerre ; il voulait satisfaire si passion, placer la France en mauvaise posture et nous faire quelque affront.

  1. Le 11 novembre 1840.