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J’ai un dégoût immense de la fanfaronnade ; mais la tranquillité de l’attente et la liberté du choix nous conviennent bien. »

Je n’ai garde de revenir ici sur les négociations qu’amena cette situation, je les ai retracées ailleurs avec détail et précision[1]. On sait qu’elles eurent pour résultat la convention du 13 juillet 1841, qui mit fin à l’isolement de la France, et lui fit reprendre sa place dans les délibérations communes des grandes puissances sur leurs relations avec la Porte et les affaires d’Orient, devenues ainsi l’objet du concert européen. Ce n’était point l’abolition du traité du 15 juillet 1840, puisqu’il avait, quant à la question d’Égypte, reçu son exécution et atteint son but ; mais c’était la fin de la situation exceptionnelle et périlleuse que ce traité avait faite à la France et à l’Europe. En apprenant cette conclusion, M. de Barante m’écrivit[2] : « Le paquebot de Lübeck a apporté hier la convention signée à Londres le 13 de ce mois par les plénipotentiaires des cinq grandes puissances. M. de Nesselrode m’en a envoyé tout aussitôt un exemplaire, ainsi que le protocole du 10 juillet ; son billet d’envoi exprimait la satisfaction que lui donnait cette bonne nouvelle, et il me rappelait que la veille il m’avait annoncé qu’elle ne pouvait tarder à arriver. J’avais eu grand soin de ne montrer aucun empressement, aucun désir vif de notre rentrée dans les délibérations des quatre grandes puissances, de sorte que M. de Nesselrode, en ayant pour moi cette attention, ne pouvait avoir la pensée de me faire un grand plaisir et de mettre fin à une attente impatiente ; son billet était un signe de son contentement plutôt que du mien. L’effet a été le même dans le corps diplomatique ; les ministres d’Angleterre et de Prusse et le chargé d’affaires d’Autriche se sont empressés de me témoigner combien ils se réjouissaient de cet heureux accord entre ces puissances et la France. Je n’ai aucun motif de supposer que l’empereur en ait reçu une impression contraire : il est fort dans son caractère d’attendre avec une sorte d’impatience un événement regardé comme nécessaire et dont il a pris son parti. Il lui reste toujours la satisfaction d’avoir essentiellement contribué à ce que l’affaire d’Égypte, reçût une solution opposée aux désirs du gouvernement du roi. A dire vrai, ses vues ne se sont guère portées au-delà ; il n’a point songé à tirer un bénéfice de conquête, ni même d’influence des embarras et des périls où se trouve l’empire ottoman ; il n’a point désiré la guerre, il avait même fini par la craindre, ou, du moins par voir que les puissances allemandes l’éviteraient presque à tout prix. Il a pu

  1. Dans mes Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, t. VI, p. 37-129.
  2. Le 23 juillet 1841.