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descendent les tourterelles par couples, — et moi, je suis toujours sans compagnon, le printemps comme l’été… — Je vois seulement de sombres nuages dans les airs ; —. heureux nuages, si vous allez dans ma patrie, saluez pour moi les jardins du Bosphore ! » Les poètes populaires grecs comprennent très bien l’influence que certaines circonstances exercent sur les souvenirs. Plusieurs font commencer les remords de la « mauvaise » mère à la Saint-George, quand, regardant à l’église « les jeunes filles, les jeunes hommes et les pallicares, » elle voit « vide la stalle » où devrait être assis son fils. Ainsi la jeune mariée que son mari a quittée pour aller à l’étranger, « trois jours seulement » après son mariage sent croître ses douleurs quand elle aperçoit « le voisin avec l’enfant dans les bras. » Elle ne peut plus retenir ses larmes, car son cœur est « lassé, » et son âme éprouve la même fatigue. — « Sans mari dans les bras, dit-elle avec désespoir, sans enfant dans les mains ! » Si déjà les séparations paraissent tristes quand elles sont volontaires, comment pardonnerait-on à la « mauvaise mère » qui oblige son fils à s’éloigner de son toit ? L’horreur qu’elle inspire a donné naissance à une idée qui a été reproduite avec un certain nombre de variantes. La « mauvaise mère, » une fois son fils parti, est saisie de remords, et dans son angoisse elle interroge tous ceux qu’elle rencontre sur le sort de ce brave et beau jeune homme.


« Il était, dit-elle tristement, grand et svelte ; ses sourcils étaient des arcs, — et au doigt de la main droite il avait l’anneau des fiançailles ; — le doigt brillait plus que l’anneau. — Oui, hier, avant-hier, nous l’avons vu couché sur le sable ; — des oiseaux noirs le mangeaient, des oiseaux blancs l’entouraient, — et un oiseau, bon oiseau, ne mangeait pas, mais volait en formant des cercles autour de lui. — Les autres oiseaux lui disaient : — Ne manges-tu pas, toi aussi, bon oiseau, de l’épaule d’un brave, — afin que ton aile grandisse d’une pique et tes serres d’un empan ? »


En somme, la famille est en Grèce plus unie que dans bien des pays plus civilisés, et lorsque la mort y fait un vide, la douleur de tous éclate avec impétuosité. C’est alors seulement que la veuve, affranchie de la réserve que les mœurs imposaient à l’heureuse épouse, peut laisser déborder, avec sa tristesse, tous les sentimens de son pauvre cœur, dans les chants mortuaires qu’on nomme des mirologues.

La masse, — aujourd’hui vraiment considérable, — des chants helléniques nous présente la Grèce dans le temps où elle ne s’est pas encore transformée sous la puissante influence des idées modernes. La conquête ottomane ayant coïncidé avec la renaissance et la réformation, la péninsule est restée absolument étrangère à