Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/649

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fenêtre, » disait-il un jour à un étranger en lui expliquant l’état de la Hongrie. Faut-il s’étonner qu’un peuple fier, animé tout à coup d’une vie nouvelle, n’ait pas montré dans sa conduite la même prudence que l’homme d’état accoutumé à la méditation ? Non, certes. En signalant les passions qui amenèrent une rupture douloureuse entre le comte Széchenyi et les plus impétueux de ses disciples, à Dieu ne plaise que je veuille condamner des hommes dignes de sympathie ! Il résultera pourtant de ce récit impartial que le comte Széchenyi voyait plus clair que ses détracteurs, et que ses conseils, s’ils eussent été suivis, auraient épargné à la nation magyare les plus cruelles épreuves.

Au moment où les ouvrages populaires du noble comte viennent d’enflammer tous les cœurs, où ses adversaires les plus redoutables sont réduits au silence, où la jeune noblesse s’unit avec le peuple dans l’espoir d’un radieux avenir, à ce moment-là même un parti nouveau s’organise, qui va s’emparer de cet esprit public réveillé par le réformateur et le pousser dans une voie opposée à la sienne. Est-ce la démocratie qui se dresse en face du libéralisme ? Défions-nous de ces termes à propos de la Hongrie ; démocratie, aristocratie, libéralisme, ces dénominations de notre Occident ne conviennent guère dans un milieu où l’esprit de race mêle à toutes les idées quelque chose de hautain. La vérité est que le vieux magyarisme, mis en déroute par les polémiques du comte, allait prendre une sorte de revanche en déconcertant ses projets, et que le magyarisme nouveau s’apprêtait à le dépasser par une ardeur d’émulation irréfléchie. Le comte Széchenyi disait : « Oubliez vos griefs contre l’Autriche, ne vous occupez que de la réforme sociale, assurez-vous une place dans le travail de l’Europe moderne, le reste viendra par surcroît. » C’était décidément trop demander à ces imaginations magyares si vives et si exigeantes. Dans les villes, sinon dans les campagnes, le premier résultat de ce réveil dû à l’ardente prédication de Széchenyi fut la reprise des hostilités contre le gouvernement autrichien. Cette même diète de 1832-1836, où furent posées les bases de l’édifice nouveau rêvé par le comte, vit se lever une armée d’assaillans qui entra en campagne sous une autre bannière ; son chef était le baron Vesselényi, le géant de la Transylvanie, comme l’appellent les publicistes hongrois, gentilhomme passionné, orateur véhément, une sorte de Mirabeau à l’épaisse chevelure et aux formes athlétiques. Possesseur de vastes domaines en Transylvanie et en Hongrie, il avait sa place dans les diètes de l’une et de l’autre contrée. Si le comte Széchenyi n’avait pas été le promoteur d’une rénovation sociale qui transformait bon gré mal gré l’aristocratie hongroise, il est à peu près certain, —