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Magyars lui ressemblaient, nous ne serions pas réduits à accepter l’invitation des Russes. » Ces paroles, dans la bouche d’un homme aussi loyalement attaché à l’Autriche, — il l’a prouvé en des circonstances décisives, — éclairent toute une situation. Assurément la plainte est excessive, Széchenyi n’était pas seul ; il y a dans la Hongrie nouvelle plus d’un personnage d’élite, homme d’état ou publiciste, qui a recueilli l’héritage de son libéralisme ; comment nier cependant que les défiances des Slaves ne soient justifiées par l’esprit général de la politique magyare ? En tout cas, les remontrances de 1842 peuvent être utilement rappelées aux Hongrois de 1867. C’est un homme de leur race qui leur adresse ces objurgations si noblement humaines, un homme dont la vie et la mort disent assez le patriotisme ; espérons que ses conseils ne soulèveront plus de murmures. Széchenyi, formé à l’école de l’Angleterre et de la France, était chez ses frères d’Orient l’initiateur de la civilisation occidentale ; s’il reste quelque chose de l’esprit féodal et tartare parmi les fils d’Arpad, il est temps que ces vieilleries disparaissent.

Suivre de 1843 à 1848 la lutte de Széchenyi contre l’influence prestigieuse de Kossuth, ce serait faire l’histoire de la Hongrie pendant une période remplie de complications sans nombre. Un volume n’y suffirait pas. Marquons du moins les principaux épisodes ; nous verrons Széchenyi poursuivre constamment le double but de sa carrière, d’un côté l’affranchissement matériel et moral de la Hongrie, de l’autre la résistance à une révolution dont il prévoyait les désastres. Si Kossuth veut porter toute l’activité commerciale du pays vers le littoral de l’Adriatique et faire du petit port de Fiume un immense foyer qui ruinera Trieste, il est possible que Széchenyi ait combattu trop durement ces chimères ; on ne lui reprochera pas du moins d’avoir signalé mal à propos les contradictions du grand agitateur. Rien de plus étrange, par exemple, que la conduite du parti révolutionnaire dans la double question des douanes et des impôts. Il y avait une ligne de douanes qui séparait la Hongrie du reste de l’Autriche, et le maintien de cette barrière était un des griefs de l’opposition contre le gouvernement ; or, au moment où le cabinet de Vienne, ramené à des idées plus sages, propose de le détruire, le parti révolutionnaire change de tactique, prétend se faire un rempart de cette ligne qu’il attaquait la veille, et organise une société pour la protection du travail national. Est-ce tout ? Pas encore. Il y avait une lot féodale qui exemptait des impôts l’aristocratie magyare ; tandis que Széchenyi combine la loi nouvelle qui établira l’égalité, prépare la transition, propose des compromis, crée en un mot tout un système de ressources dont la Hongrie entière profitera, Kossuth et son parti prennent occasion de cette grande réforme pour arracher au gouvernement le système de la