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partie de l’Asie, plus difficile à franchir qu’elle ne l’a été pour nous en 1859 lors de la guerre d’Italie. Ce serait là une énorme erreur. Entre la Russie proprement dite, qui finit à la ligne d’Orenbourg, et ses nouvelles conquêtes du Turkestan, il y a l’effroyable steppe des Kirghiz, nue, à végétation rabougrie, à puits saumâtres, que traversent au galop des nuées de cavaliers tartares, mais où un corps d’armée européen périrait comme les soldats de Darius et de Cambyse, si le gouvernement russe n’avait créé de puits en puits des stanitzas qui sont pour les soldats ce que sont les caravansérails pour les voyageurs. Et ce n’est pas une traversée de quelques étapes, comme celle de notre Sahara algérien ; la steppe des Kirghiz a une largeur de 130 lieues, plus de 500 verstes, entre Orenbourg et le fort Aralskoï, où l’on trouve la flottille du Sir-Daria, dont j’ai déjà parlé.

On peut affirmer qu’une armée d’invasion dirigée de la Russie d’Europe sur l’Inde par Orenbourg et Bokhara aurait déjà perdu, avant d’atteindre les rivages de l’Aral, cette force initiale si précieuse dans la guerre offensive. Il faut donc renoncer à cette hypothèse et en venir à une autre, celle où le gouvernement moscovite, avec un plan d’attaque mûri pendant des années de paisible possession du Turkestan, aurait dans ses nouvelles provinces une bonne armée acclimatée, dressée, préparée (well trained, comme disent les Anglais) en vue du but spécial qui nous occupe. Même dans cette hypothèse favorable, voyons si l’attaque la mieux combinée ne se heurterait pas à d’insurmontables difficultés.

Supposons un instant la Russie campée sur l’Oxus, en face des avant-postes afghans, à Kilif ou à Termes, et se préparant à marcher sur l’Inde. Qu’on jette les yeux sur la carte : on ne trouve entre l’Oxus et Peshawer qu’une distance d’environ 130 lieues, un quart de moins que celle de Paris à Brest. Ce n’est rien pour une armée voyageant en pays allié ; mais ce serait faire la part bien belle à l’invasion que de supposer le peuple et le gouvernement afghans amenés par leurs ressentimens contre les Anglais à ouvrir leur territoire à une armée moscovite. Acceptons cependant cette hypothèse : il est bien certain qu’au premier mouvement de la Russie au-delà de l’Oxus l’armée anglo-indienne envahirait le Kaboul, et tâcherait d’atteindre à marches forcées les montagnes dont l’occupation lui permettrait d’arrêter net la marche de l’ennemi. La route de l’Oxus à l’indus est coupée vers le milieu par une très haute chaîne de montagnes, l’Hindou-Koh, que les Persans, par un jeu de mots puéril qui a passé dans notre nomenclature géographique, appellent Hindou-Kouch, « le tueur d’Hindous. » Pour se faire une idée des traits généraux de cette voie, on peut se représenter (toute