Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/686

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marche sur Kaboul par Bamian n’eût été qu’une démonstration destinée à occuper l’armée de défense, et que l’effort principal se fût porté sur l’Hindou-Koh même au moyen d’une armée qui de Khouloum serait allée, par la vallée de Koudouz, franchie en diagonale, au cirque d’Inderah ; là sept défilés praticables en été permettent aux caravanes de descendre sur la vallée de Kaboul par la coulée de Pandjghir. Dans cette hypothèse, l’armée russe viendrait couper entre Djellalabad et Kaboul la ligne anglaise d’opération ; mais pour qu’à son tour cette seconde armée ne fût pas au premier échec acculée aux ravins de l’Hindou-Koh, comme le fut Souvarof dans les Grisons en 1799 après la bataille de Zurich, pour qu’elle ne fût pas alors prise d’un coup de filet ou détruite en détail par les montagnards, elle aurait besoin du secours d’une troisième armée, qui, remontant l’Oxus par Badakchan et les fameuses mines de rubis et de lapiz-lazuli, franchirait la montagne par le col de Chattiboï et les trois cols de Zebak, et descendrait le long de la rivière Chitral en se maintenant en bonne intelligence avec les roitelets indigènes de Kuuabur, Bajaour et Dheïr, et en donnant la main aux gens de Swat, que leur haine contre les Anglais rendrait probablement fort sympathiques aux envahisseurs.

On ne nous accusera pas d’avoir exagéré les difficultés de l’entreprise ou écarté les chances favorables qu’elle peut rencontrer ; en admettant libéralement ces dernières, la triple opération que l’on vient de décrire exigerait au moins 120,000 hommes. De son côté, le gouvernement anglo-indien, aidé par les circonstances dans un pays qui lui est familier et qui offrirait à ses années une base d’opération aussi sûre en cas de retraite qu’en cas de marche en avant, pourrait se contenter d’opposer à l’agression 80,000 soldats réguliers. Jeter 80,000 hommes en Afghanistan est une fort grave affaire, mais elle n’exige aucun effort extraordinaire de la part de ce gouvernement, solidement établi dans l’Inde et ayant un réseau de voies ferrées à sa disposition. Combien d’années s’écouleront avant que la Russie ne soit pour l’attaque dans une situation comparable à celle de l’Angleterre pour la défense de l’Hindoustan !

Il n’est qu’un seul cas où l’agression que je discute à contrecœur, tant je la crois chimérique, aurait quelque chance de succès : c’est celui où la Russie, maîtresse absolue de l’Afghanistan et ayant eu tout le loisir d’y faire de longs préparatifs d’attaque, lancerait à la fois de Kaboul, de Ghizni et de Bajaour trois armées bien pourvues de tout et convergeant sur Lahore. La victoire serait possible, je ne veux pas dire probable, car l’armée d’invasion aurait en face d’elle les forces anglaises dont j’ai déjà parlé, troupes