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atteint le maximum de la perfection, lui a fait détourner les yeux de ce qui s’accomplissait au dehors. « Je me félicite chaque jour d’être né dans l’empire du Milieu, s’écrie un vieil auteur. Mon sort serait bien différent, si j’étais né dans quelque coin reculé du monde. Bien que faisant partie du genre humain, j’eusse été semblable à la brute. Heureusement je suis né en Chine. En vérité, mon bonheur est extrême. »

Cette vanité nationale a été entretenue et par la situation géographique, qui ne donne aux frontières d’autres voisins que la mer, le désert, ou quelques hordes à demi sauvages, et par les souvenirs historiques. La Chine, quelle que soit la race qui la peuplait alors, fut jadis conquérante. Du nord au midi de l’Asie orientale, elle a promené l’invasion, ne s’arrêtant que devant les glaces de la Sibérie, les déserts et les montagnes de l’Asie centrale ou l’Océan. Les grands conquérans européens ne l’ont pas effleurée ; les invasions musulmanes l’ont respectée. Tout ce qu’elle sait, tout ce qu’elle produit, elle l’a tiré de son propre fonds sans rien emprunter à personne ou du moins sans avouer ses emprunts. Sa civilisation a rayonné même dans des pays qu’elle n’a pas conquis, au Japon, en Birmanie. L’ardeur que montraient les Européens à pénétrer chez elle, elle l’a interprétée comme un hommage rendu à son mérite. Si de timides protestations s’élevèrent, elles furent réprimées. Un haut mandarin, Siu, composa, il y a quelque vingt ans, un traité de géographie dont un exemplaire figure à l’exposition, et où il parlait avec éloge de la France et de l’Europe : il fut destitué.

Lorsqu’enfin le gouvernement chinois, cédant à la force, traita avec les puissances étrangères, et reconnut, concession énorme, par l’admission des représentans diplomatiques à Pékin, l’existence d’autres souverains indépendans, un grand nombre de fonctionnaires se promirent de désobéir et de s’opposer à l’introduction de ces étrangers remuans, propres à déranger leurs tranquilles habitudes d’omnipotence. La foule même, ignorante des autres peuples, qu’elle regarde comme des ramassis de brigands, de pirates et de rebelles, ne vit pas de bon œil ces hôtes qui s’imposaient, et laissa les mandarins inaugurer, loin des côtes, un système de concussions et de tracasseries qui, en dépit des traités, maintient inaccessible l’intérieur de l’empire.

Le gouvernement appartient depuis six ans à un conseil de régence nécessairement plus faible, plus indécis, plus attaqué que ne le sera le souverain majeur qui va prendre l’exercice du pouvoir. Ce conseil, qui aurait dû s’occuper de l’exposition universelle, n’a pas osé, devant l’opposition de la majorité des fonctionnaires,