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donnent avec l’aplomb de naturalistes décrivant sous la dictée de l’expérience les caractères observables d’un animal ou d’une plante. Cette ontologie aventureuse est l’arsenal où les adversaires vont chercher leurs armes, et ce n’est pas la seule fois que la métaphysique se serait fait à elle-même plus de mal que ne peuvent lui en faire ses ennemis.

Si donc nous insistons sur des observations qui tendent à réduire les prétentions de la théodicée, c’est qu’en la simplifiant elles nous semblent l’affermir. Cette foule d’assertions mystérieuses, souvent même contradictoires, dont notre téméraire curiosité encombre la science spéculative de la nature de Dieu, ne servent souvent qu’à la rendre attaquable, et une révision sévère des propositions fondamentales de toute théologie, même philosophique, ôterait à l’athéisme d’apparens appuis. Ce serait un véritable service à rendre que d’entreprendre cette œuvre difficile. Elle semble si utile, je dirai même si pressante, qu’on doit la recommander aux esprits dont la jeunesse et la vigueur ne s’effraient d’aucune entreprise. On peut n’être pas inquiet outre mesure de cette renaissance d’athéisme mainte fois signalée. Il peut y avoir quelque ostentation dans le zèle bruyant qui s’efforce d’en épouvanter l’humanité. Cependant le mal existe, plutôt peut-être dans le monde intellectuel que dans le monde social, et il mérite d’autant plus d’attention qu’il a pris des formes nouvelles. Il provient même quelquefois de causes qui ne sont pas aussi mauvaises que leurs effets. Tout n’est pas chimère, il s’en faut bien, dans les idées qui contribuent à engendrer les nouveaux doutes. Des découvertes réelles soulèvent des objections inattendues, et telle est la faiblesse de l’esprit humain que ses aberrations résultent quelquefois de ses progrès. Un dogmatisme superbe ne gagnerait rien à nier au savoir contemporain ses droits pour empêcher qu’il n’en abuse, et tout ce que le génie de la critique, véritable flambeau de notre temps, nous fournit de lumière doit être loyalement reconnu, si l’on veut dissiper les ombres ou les fausses lueurs qu’il a portées sur des vérités plus anciennes que lui. Règle générale, comprenez l’adversaire avant de le réfuter, et ne prenez de grands airs avec aucune science, si vous voulez faire honorer la vôtre. Il se peut que l’opposition que vous rencontrez, les attaques que vous encourez, viennent autant de vos erreurs que des erreurs contraires, et avant de frapper assurez-vous de vos armes. On a vu que je ne trouvais pas sans défaut celles auxquelles se confie souvent une philosophie religieuse que je voudrais moins téméraire. Il peut être à propos d’en éprouver à nouveau la solidité et le tranchant, et d’approprier à des nécessités nouvelles les moyens de défense et l’art de se défendre.