Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/761

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

récemment un ouvrage original et profond qu’ils auraient, ce me semble, quelque peine à rattacher à leur méthode tout empirique[1].

En quittant l’école positiviste, M. Naville trouve sur son chemin une école plus ingénieuse et plus brillante : c’est celle qui se désigne sous le nom de critique, c’est celle dont la science, rajeunie et agrandie depuis un demi-siècle, enrichie des découvertes incomparables de l’archéologie, de l’ethnographie, de la linguistique, a pour ainsi dire transformé l’histoire générale, et restera peut-être la plus solide gloire intellectuelle de notre époque. Quelque large que soit l’ensemble des choses qu’elle embrasse, et précisément à cause de son étendue, cette science peut aisément se figurer qu’il n’y a rien au-delà, qu’il n’existe au monde rien de plus qu’une succession de générations changeantes dont la loi d’évolution est tout ce que nous pouvons connaître de l’esprit humain. Les opinions, les croyances, les systèmes, ne sont, comme les mœurs et les lois, que les témoignages des divers états qu’il traverse ; la science ne peut qu’observer ceux-ci, les retrouver, les décrire ; mais elle s’aventure lorsque, sortant de ces limites, elle veut rechercher à quelle vérité absolue et en quelque sorte surhumaine correspondent les idées des hommes, en conclure quelque chose de stable, séparer ce qui devient de ce qui demeure, enfin les connaître toutes jusque dans leurs derniers progrès et éclairer le passé par l’avenir. On voit comment la critique historique ainsi entendue confine au positivisme, puisqu’elle se réduit à la revue des faits que l’histoire a rendus visibles. Par un autre côté, elle touche à l’écueil souvent signalé aux partisans des méthodes psychologiques. On reproche à la psychologie de ne pouvoir établir que les phénomènes de notre intelligence, sans avoir la hardiesse ou le droit de fonder aucune vérité qui subsiste en dehors de nous et qui soit le type et le gage de nos pensées. De même la science historique peut se convertir en une sorte de psychologie humanitaire qui observe le moi successif des nations et ne parvient à démontrer qu’un fait tout humain : c’est que les hommes sont constitués de façon à penser de génération en génération de certaines choses dans un certain ordre. Peu importe que ces choses soient différentes ou même contraires entre elles ; le point à constater, c’est qu’elles ont été pensées ; voila toute la vérité historique. La critique la découvre dans les monumens du passé et n’en cherche pas d’autre. Ajoutez que lorsque le champ de la science est ainsi réduit à l’observation de la marche de l’humanité, il ne faut qu’un peu de hardiesse pour conclure que celle-ci est tout ce qui est à

  1. Des Méthodes dans les sciences de raisonnement, par M. Duhamel, de l’Académie des Sciences, 1860.