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demander des vues tout à fait nouvelles, et, ce qui n’est pas de tout point un défaut dans ces sujets dangereusement délicats, l’originalité n’est pas le trait saillant de son excellent esprit ; mais nous aimons surtout à le louer de ce qu’avec un ferme propos de soutenir la foi il n’a pas un moment songé à humilier la raison. Il peut aimer encore mieux la religion que la philosophie, toutefois il aime la philosophie et n’en méconnaît ni les droits ni l’utilité. C’est un mérite que, malgré les décisions et les exemples de l’église, on n’a pas toujours parmi ceux qui la défendent. Ils ne savent pas tous se préserver d’une opinion témérairement excessive et faite pour rester à tout jamais un paradoxe, celle qui veut que le théisme sans révélation ne soit qu’une vague inconséquence, et que l’homme livré à lui-même soit destiné à ne pas croire en Dieu et n’ait en effet nulle bonne raison d’y penser. J’ai toujours admiré le sang-froid avec lequel des écrivains qui entendent être religieux acceptent ces énormités. Pour motiver la révélation, ils soutiennent qu’il eût été vraiment indigne de la bonté de Dieu de laisser l’homme sans-information directe, sans règle positive touchant son existence et sa volonté, et ils ne voient pas qu’en refusant à la raison humaine les moyens d’arriver à lui par ses propres forces, ils destituent et dispensent à la fois de toute pensée religieuse les trois quarts de notre espèce, à qui toute révélation a été refusée. Ce qu’il y a de religieux dans la nature humaine devient une superfétation sans objet, quelque chose d’oiseux et de vain que Dieu a créé dédaigneusement, qu’il a jeté au hasard, si même il n’en a pas fait, comme le voudrait une certaine interprétation du christianisme, la source d’un malheur éternel. Que penser d’une telle disposition des choses dans un système où l’on a la prétention d’établir et d’expliquer le plan et le dogme de la Providence par des idées de toute-puissance arbitraire et d’équité toute paternelle ? Qu’est-ce que cette faculté ou cette aspiration qui rend l’homme capable des choses divines, si elle est nulle et comme non avenue dans tous les temps et dans tous les lieux où la parole suprême prononcée sur la croix du Calvaire n’a pas été entendue ? Quoi, en dehors de l’époque et de la portée d’un seul événement historique, la nature religieuse de l’homme ne serait rien ! Autrement dit, Dieu serait comme s’il n’était pas !

Cette témérité, cet audacieux défi porté à la raison humaine, n’effraient pourtant pas ces ennemis obstinés de la religion naturelle que l’intérêt mal compris de la foi a de nos jours multipliés. Craindraient-ils donc que, s’il était naturel de croire en Dieu, le surnaturel ne devînt superflu ?

C’est ce scrupule ou cette crainte qui enhardit des écrivains aussi respectables que M. Secretan à publier des livres aussi