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leur spoliation avait été accomplie par les ordres de son roi en dépit de ses remontrances. Sur ce point, il est difficile de démêler la vérité de la comédie. Quoi qu’il en soit, les motifs qui devaient lui faire souhaiter une guerre au printemps et les raisons qu’il devait avoir au contraire de la redouter sont faciles à reconnaître. L’état des forces prussiennes, mieux préparées et armées, plus nombreuses que les nôtres, couvertes du prestige de la victoire, et le désir de cimenter l’unité de l’Allemagne au feu d’une guerre étrangère semblaient lui conseiller de précipiter la crise. Cependant après bien des hésitations le gouvernement prussien a sincèrement voulu la paix.

Il avait senti qu’il fatiguerait l’Allemagne en lui imposant déjà une nouvelle et grande guerre. Un instant exaltée, l’opinion publique ne s’était rapidement calmée qu’au moment même où le conflit semblait le plus imminent. Les états du sud, empressés à signer les traités d’alliance, l’étaient beaucoup moins à en exécuter les stipulations. Ils n’avaient encore transformé leur état militaire qu’en le désorganisant. On ne pouvait attendre de leur part un concours efficace. Le Hanovre était travaillé par une vaste conspiration qui n’attendait, paraît-il, pour éclater que la présence du drapeau français aux bouches de l’Elbe. Sans doute elle aurait avorté ou succombé devant le sentiment national, avant tout hostile à l’étranger ; mais il était impossible de n’y pas voir un grave symptôme et le prélude de grandes difficultés en cas de revers. Les ennemis déclarés de la Prusse en Allemagne étaient ceux qui poussaient le plus à la guerre, comme s’ils eussent attendu d’une défaite sur le Rhin le renversement de sa domination. Il y avait là de quoi réfléchir : la guerre fut évitée. La situation sera la même l’année prochaine. La Prusse aura les mêmes difficultés à combattre, les mêmes problèmes à résoudre. Les états du sud seront sans doute mieux organisés, mais leurs progrès ne compenseront pas ceux de l’armée française durant la même période. La Prusse n’aura donc pas plus intérêt à faire la guerre qu’elle ne l’avait il y a trois mois : au contraire les motifs pour l’éviter seront pour elle plus solides ; en un mot, les peuples y sont résignés, mais nullement disposés : le gouvernement y sera peut-être conduit par un enchaînement accidentel, mais il est loin de l’avoir résolue. Elle est donc possible, mais nullement inévitable, et j’hésite même encore à la dire probable.

Si la guerre venait à éclater, elle finirait peut-être par miner tout l’édifice de la domination prussienne ; son premier effet serait d’anéantir toute résistance à cette domination et d’accomplir l’union du sud et du nord, non pas au profit de l’Allemagne, mais uniquement de la Prusse, seul représentant de la puissance militaire nationale. Si au contraire, grâce au maintien de la paix, grâce à la prompte admission des états du sud dans la confédération, l’Allemagne trouve assez de forces pour tenir tête au système prussien et absorber la Prusse au lieu d’être absorbée par elle, c’est au nom et au moyen des idées libérales qu’elle peut obtenir