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nommés, et qu’ils seraient devenus infidèles dès le lendemain. Pour éviter cet inconvénient, il fait ses affaires lui-même et sans aucun intermédiaire. Quand il y a quelque décision à prendre, on le convoque sur la place publique. Tous les citoyens âgés de plus de vingt ans et qui n’ont pas encouru de condamnation judiciaire ont le droit d’y voter. Naturellement les petites gens et les ouvriers y sont en majorité. « Eh quoi ! disait Socrate à un de ses amis qui hésitait à parler devant le peuple, seriez-vous intimidé par des foulons, des cordonniers, des maçons, des ouvriers sur métaux, des laboureurs, de petits marchands, des colporteurs, des brocanteurs ? Voilà le monde dont se compose l’assemblée populaire. », Quand on dérange des gens qui vivent du salaire de leur journée, il faut les payer ; aussi leur donnait-on par jour trois oboles, 45 centimes de notre monnaie. Nos députés sont plus chers : ils reçoivent près de 100 fr. par séance ; leurs indemnités forment dans notre budget une dépense de 2 millions en chiffres ronds. Athènes s’en tirait avec une centaine de mille francs. C’est que la ville était petite, le peuple peu nombreux, et, malgré l’appât du triobole, médiocrement empressé aux assemblées. M. Perrot estime qu’à l’ordinaire la moyenne des citoyens réunis sur la place publique ne devait pas dépasser trois mille personnes. C’était bien assez pour effrayer les savans des derniers siècles, qui n’avaient pas l’expérience de ces grandes réunions populaires. Il leur semblait que dans des foules pareilles tout devait être tumulte et confusion. Ils se demandaient avec terreur comment la délibération et le vote y étaient possibles. M. Perrot leur répond par l’exemple des meetings anglais et américains. Il est certain qu’on s’y adresse à un public bien plus nombreux que ne l’était l’assemblée athénienne ; les votans s’y comptent par milliers, et cependant on y écoute et l’on y entend des orateurs, des résolutions y sont discutées et adoptées, et il en est souvent sorti des mesures importantes pour la prospérité du monde. C’est à peu près ainsi qu’à Athènes le peuple entier, réuni sur la place publique et directement interrogé par ses magistrats, après avoir écouté ses orateurs, répondait par ses votes ; il réglait souverainement son organisation intérieure et ses rapports avec l’étranger, il décidait sans appel de la paix ou de la guerre, et les tempêtes de l’agora, raillées par les poètes comiques, allaient souvent troubler la Grèce et l’Asie.

La démocratie avait mis encore plus son empreinte sur la façon dont on nommait les magistrats. Aujourd’hui, dans les pays les plus libres, on les élit. L’élection est partout regardée comme l’indice et la sauvegarde de la liberté ; ce n’était pas l’opinion des Athéniens. La passion violente qu’ils avaient pour l’égalité leur faisait trouver des inconvéniens dans l’élection ; elle élève trop quelques citoyens au-dessus des autres, elle ne laisse pas à tous indistinctement l’espoir d’arriver aux magistratures, elle crée, dans un état démocratique, une sorte d’élite et d’aristocratie, elle peut susciter des ambitieux ; aussi l’avait-on remplacée par le sort,