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colère se ralluma ; mais ce nouvel accès dura peu : quelques coups de poing lancés dans le vide, quelques éclats de voix, ce fut tout, après quoi il geignit tout doucement, comme un enfant qui affecte de bouder sa nourrice pour qu’elle le console et le dorlote.

Il faisait déjà grand jour. Didier n’en pouvait plus. — Si j’en juge par ma propre lassitude, lui dit-il, vous devez avoir grand besoin de repos. Calmez-vous, tâchez de vous endormir. Nous causerons plus tard.

À ces mots, il se retira, brisé, moulu, roué de fatigue, mais fermement décidé à tenter sur nouveaux frais une troisième expérience, dont, je ne sais pourquoi, il augurait mieux que des deux autres.

Aussitôt il descendit au salon et pas^a un linge sur le portrait de son père pour en ôter la poussière ; puis il fut trouver Marion et l’avertit qu’un hôte leur était arrivé, qu’il désirait qu’elle eût pour cet étranger beaucoup d’égards et d’attentions.

La brave femme se récria, selon sa coutume. — Ah çà ! monsieur, dit-elle, tes hôtes arrivent comme des larrons, pendant la nuit ! Par où donc est entré celui-ci, par la fenêtre ou par les greniers ?

— Tu es trop curieuse, lui répondit-il. Tâche seulement de faire ce que je te dis. Tu as la mauvaise habitude de t’étonner à tout propos. Notre hôte, qui s’appelle M. Randoce, a la voix un peu forte ; si jamais tu l’entends crier à ébranler les carreaux, tu ne feras semblant de rien, et tu te garderas de te signer et de pousser des hélas ! Il a parfois les mouvemens un peu brusques ; s’il lui arrivait de casser d’un seul coup toute une pile d’assiettes, tu en ramasserais les morceaux sans lui faire de gros yeux…

— Et si jamais il lui arrivait de mettre le feu à la maison, je dirais amen ! interrompit-elle tout ébaubie.

— En ce cas, nous aviserons, lui dit-il en souriant ; mais rassuretoi, le personnage en question ne brûle que les planches.

Ce dernier mot, qu’elle ne comprit pas, porta son épouvante au comble. — Un casseur d’assiettes, un boute-feu ? murmura-t-elle. Ah ! monsieur, que dirait ton pauvre père, s’il te connaissait de pareils amis ?... — Et en rentrant à l’office elle enjoignit à Baptiste de faire désormais tous les soirs une ronde.

Vers la fin de la matinée, Didier porta lui-même à Prosper son déjeuner ; il le trouva sur son séant, une feuille de papier sur ses genoux, un crayon à la main.

— J’ai composé ce matin une centaine de vers, lui cria Randoce, tous frappés au bon coin ; quelques-uns sont des meilleurs que je puisse pondre. La scène de cette nuit m’avait mis en verve. Que voulez-vous ? les imaginations stériles tirent parti de tout… Et il