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un ton bien tragique. Je ne croyais pas que dans vos idées le mariage fût une affaire aussi grave… Et comme il se taisait : Pour ma part, poursuivit-elle, j’ai réfléchi : je suis, comme dit ma mère, l’esprit de femme le plus positif du monde. J’ai fait jadis, comme vous l’aviez deviné, un mariage de vanité. Pour essayer d’autre chose, j’en voudrais faire un de convenance. Eh bien ! franchement, je peux vous assurer que nous ne nous convenons guère, vous et moi.

— Je crois rêver, s’écria-t-il avec emportement. Quelle langue parlez-vous ? Vous l’avez trop fraîchement apprise ; vous la savez mal.

Elle hocha la tête. — Vous avez raison. Je suis condamnée, je le vois bien, à parler de tout sérieusement… Asseyez-vous là, écoutez-moi. Il y a près d’un an, vous avez eu pour moi un caprice. Qu’a-t-il duré ? Vous le savez, votre lettre… Laissez-moi parler. Je ne vous fais pas un crime de votre franchise, bien au contraire ; mais que cette franchise un peu brutale m’ait fait beaucoup souffrir, … pourquoi vous le cacher ? Je veux vous faire un autre aveu. Il me semblait juste qu’il vous en coûtât d’être franc. Que je fusse seule à souffrir,… non, cela n’était pas juste. Votre lettre exprimait un chagrin qui me parut sincère. Je me dis : Il est aussi malheureux que moi ; j’ai le droit de lui en vouloir, je n’ai pas le droit de lui retirer mon estime… Quelques jours plus tard, on m’apprit que vous veniez de partir subitement pour Paris. Ce départ, je l’avoue, me donna fort à penser. Je connais assez les hommes pour savoir… Oui, ils ont toujours la ressource de tromper leurs ennuis. Je me demandai si vous n’étiez pas aller chercher à Paris certaines distractions… Vous aviez voulu imposer à votre cœur un sentiment sérieux ; il avait bien vite regimbé contre son fardeau ; peut-être vouliez-vous faire ou refaire une autre expérience, demander le bonheur à ces amours faciles qui n’engagent à rien… S’il m’était prouvé que je ne me suis pas trompée dans mes conjectures, mon Dieu, je ne vous traiterais pas en criminel ; seulement, je vous l’ai déjà dit, je serais inquiète, très inquiète. En conscience, il me serait impossible de lier mon sort à celui d’un homme si prompt à se faire… Soyez sincère, dites-moi toute la vérité. N’est-ce pas le moins que je puisse vous demander ?

— N’est-ce que cela qui vous arrête ? lui répondit-il d’un air radieux. Vous saurez, quand vous le voudrez, ce que je suis allé faire à Paris : je vous conterai heure par heure les tristes et longues journées que j’y ai passées. Mon père m’avait laissé des devoirs à remplir. J’ai fait ce que j’ai pu, je n’ai pas réussi, et cet insuccès a été pour moi une source d’indicibles dégoûts ;… mais je ne regrette